Cela n’est pas impossible. Il n’est nullement exclu que novembre 2022 entre dans l’Histoire comme le mois de la liberté qui aurait vu l’Iran amorcer la chute de sa théocratie après que les Ukrainiens eurent repris Kherson et que les électeurs américains eurent fait de Trump un loser.

On n’y est pas. C’est même loin d’être joué parce qu’il n’y a pas d’opposition organisée prête à prendre la relève à Téhéran, que les quatre cinquièmes de l’économie sont entre les mains de ce régime qui compte ainsi beaucoup d’obligés et que le pouvoir contrôle de surcroît les forces armées, l’appareil judiciaire et la télévision. Les mollahs sont tout sauf démunis mais il y aura pourtant deux mois, ce mercredi 16 novembre, qu’ils échouent à faire cesser les manifestations que leur police a provoquées en assassinant une jeune fille insuffisamment voilée.

Ni les tirs à balles réelles, ni les viols policiers, ni les arrestations de masse, ni les meurtres de détenus n’y font rien. La sauvagerie de cette répression unit au contraire campagnes et grandes villes, cols blancs et cols bleus, chiites, Kurdes et sunnites dans un commun rejet du régime. On n’en est plus à l’espoir de libéralisation exprimé, en 1997, par la mobilisation électorale qui avait porté un religieux réformateur, Mohammad Khatami, à la présidence de la République. Ce n’est pas non plus la « révolution verte » de 2009, celle qui avait conduit les classes moyennes urbaines à des mois de protestations de rue contre la réélection frauduleuse d’un président conservateur. En ces temps-là, les Iraniens rappelaient le pouvoir au respect de ses lois comme ils allaient lui demander, avec les émeutes populaires de 2019, de ne plus ignorer la misère des plus pauvres mais c’est désormais tout l’Iran qui, d’un bloc, relève le drapeau de la révolution démocratique, celle qui avait chassé le chah en 1979 avant que les mollahs ne la confisquent.

Plus de 40 ans se sont écoulés depuis et, sous le voile, l’Iran a totalement changé avec une population urbanisée à 75%, un taux de naissance semblable à celui de l’Union européenne, 40 millions d’internautes et un âge moyen du mariage à 26 ans alors qu’il est autorisé dès 13 ans pour les filles. Sous l’arbitraire religieux, l’Iran vit au rythme de l’Occident et le pouvoir des mollahs est d’autant plus menacé que le Guide suprême, Ali Khamenei, chef de l’appareil religieux et premier personnage du régime, est âgé et malade, que sa succession s’annonce difficile et que les Gardiens de la Révolution, l’armée du régime, tendent toujours plus à prendre le pas sur un clergé divisé entre conservateurs et réformateurs.

Une fois de plus, avec ses femmes brûlant leur voile et l’invraisemblable bravoure de ses manifestants, l’Iran s’est fait l’avant-garde du monde musulman. Il l’avait été avec le renversement du Chah. Il l’était redevenu, en 2009, avec sa révolution verte qui avait préfiguré les printemps arabes de 2011. Il l’est aujourd’hui avec son aspiration aux libertés et à l’égalité des sexes dont l’écho s’entend dans tout le Proche-Orient.

L’Iran bouillonne et l’inquiétude est si grande dans les cercles du pouvoir que des dignitaires religieux appellent à l’organisation d’un référendum institutionnel alors que des députés exigent la mort pour les manifestants tandis que l’ancien président du Parlement, Ali Larijani, un conservateur éclairé, voudrait lui que le port du voile ne soit plus imposé. Ce pouvoir ne sait plus où il va ni comment se survivre. Il peut durer par la force mais Talleyrand puis Clemenceau l’avaient dit : « On peut tout faire avec des baïonnettes, sauf s’asseoir dessus ».

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