On préfèrerait, bien sûr, que les chars soient déjà livrés et les avions en route. L’Ukraine pourrait plus vite en remporter des victoires contraignant le Kremlin à négocier son retrait et moins de jeunes vies, russes et ukrainiennes, seraient fauchées chaque jour. Nous autres, Européens, sommes trop lents à répondre aux demandes d’aide de Wolodymyr Zelensky mais avons-nous, pour autant, nous autres Français, tant de raisons de nous auto-flageller à ce point ?

Le Premier ministre britannique semble promettre des avions de chasse au président ukrainien et, à l’instant même, nous en faisons un héros aux côtés duquel nous ne serions que poules mouillées munichoises. Wolodymyr Zelensky repart de Paris sans Rafale plein les poches et honte à ces Scholz et Macron qui craignent, les accuse-t-on aussitôt, de susciter le courroux de Vladimir Poutine. Joe Biden s’apprête à se rendre en Pologne, la plaque-tournante des livraisons d’armes à l’Ukraine, et ce serait la preuve, dit-on, irréfutable, définitive, que ni Paris ni Berlin ne comptent plus aux yeux des Américains, que les Polonais constitueront bientôt la première armée d’Europe, loin devant nous, les Français, et qu’ils feront ainsi basculer à l’Est le centre de gravité de l’Union.

Depuis le Londres-Paris-Bruxelles du président ukrainien, c’est le refrain dominant. Nous serions nuls, morts, balayés par l’Histoire, ne cesse-t-on d’entendre mais avant de procéder à notre enterrement collectif, n’oublions pas que les armes françaises sont infiniment précieuses à l’Ukraine, que c’est la France qui a convaincu le reste de l’Union de lui accorder le statut de pays candidat et reprenons les faits.

Le Premier britannique avait à peine suscité les espoirs de l’Ukraine que Ben Wallace, son secrétaire à la Défense nuançait le propos. Comme la France, le Royaume-Uni n’exclue rien mais rien n’est décidé et encore moins fait. Si la France est lâche, elle n’est ainsi pas la seule et ni elle ni la Grande-Bretagne ne le sont en fait car le problème n’est pas de défier ou pas M. Poutine.

Des deux côtés de la Manche comme des deux côtés de l’Atlantique d’ailleurs, toutes les capitales occidentales ont simplement à se poser des questions, légitimes et nécessaires. Dotés d’avions de chasse ultra-modernes et difficiles à manier, comment les pilotes ukrainiens parviendraient-ils à éviter tout risque de passer la frontière russe et de mettre ainsi face-à-face des appareils de l’Alliance atlantique et de la Fédération de Russie ? Jusqu’à quel point, deuxième question, l’état-major et les dirigeants ukrainiens pourraient-ils s’astreindre à ne pas utiliser ces avions européens et américains pour pénétrer l’espace aérien de la Crimée alors que cette péninsule annexée par la Russie appartient indiscutablement à l’Ukraine ?

Comment organiser et où, troisième question, la maintenance que demandent ces appareils ? Et de quel nombre de ces avions de chasse, quatrième question, les pays de l’Union peuvent-ils se départir sans diviser leurs opinions publiques et sans compromettre, surtout, leur propre sécurité qui ne se joue pas seulement dans le ciel ukrainien mais dans le leur aussi ?

Aucun dirigeant responsable ne peut satisfaire les demandes ukrainiennes avant d’avoir les réponses à ces questions et l’élément nouveau n’est ainsi pas que Wolodymyr Zelensky n’ait pas quitté la France en Rafale. Les trois faits majeurs de la semaine dernière sont que ces livraisons ne soient désormais plus exclues par l’Europe alors qu’elles le sont toujours par les Etats-Unis, que le président français ait déclaré que la Russie ne pouvait ni ne devait l’emporter et que le chancelier allemand se soit déplacé jusqu’à Paris pour s’associer à cette position français ainsi devenue franco-allemande.

C’est un tournant. Un an après que Vladimir Poutine a perpétré son agression, il a face à lui non seulement un front euratlantique mais une Union européenne unanime, Hongrie mise à part, dans sa détermination à soutenir et armer l’Ukraine. A l’épreuve du feu, l’Union s’affirme en union politique et, loin de se déporter où que ce soit, elle est en train de forger une nouvelle unité autour d’un trio essentiel – Paris, Varsovie, Berlin – qui se cherche depuis longtemps et se soude aujourd’hui dans l’augmentation des dépenses militaires polonaises et allemandes.

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