Elle y trouverait trois avantages. Si le plan de paix qu’elle entend présenter en fin de semaine ouvrait réellement une perspective de règlement en Ukraine, la Chine éviterait un ralentissement brutal des échanges internationaux dont son économie et sa stabilité politique pâtiraient gravement. Pour elle, l’enjeu est vital mais ce n’est pas tout.
Si elle réussissait à faire taire les armes en Europe, la Chine se hisserait du même coup – deuxième avantage – au rang de puissance essentielle, non plus seulement économique et militaire mais également politique. Son poids international en serait si considérablement renforcé que c’est dès le premier quart de ce siècle – troisième avantage – qu’elle se placerait au même rang que les Etats-Unis en devenant l’autre des deux superpuissances.
C’est dire que le chef de sa diplomatie, Wang Yi, a ouvert une vraie partie en se rendant, la semaine dernière, à Paris puis à la Conférence de Munich avant d’aller cette semaine à Moscou mais de quelles cartes la Chine dispose-t-elle ?
Elle ne pourra rien imposer à personne et certainement pas du jour au lendemain. Il est même bien possible qu’elle commence par échouer. Il n’est pas même impossible qu’elle décide alors d’approfondir son rapprochement avec le Kremlin mais, outre que ce ne serait pas son intérêt, la Chine a deux atouts maîtres.
Le premier est de pouvoir exercer une pression décisive sur Vladimir Poutine. Non seulement elle peut le menacer d’en faire un homme seul sur la scène internationale en en venant à condamner l’agression commise contre l’Ukraine mais elle peut aussi causer de graves dommages à l’économie russe en n’achetant plus le pétrole que l’Europe a mis sous embargo. Le président russe ne peut, autrement dit, pas ignorer le seul allié qu’il ait au Conseil de sécurité des Nations-Unies et le peut d’autant moins que le plan de paix chinois dont les grandes lignes ont opportunément fuité le week-end dernier est digne d’intérêt pour toutes les parties.
D’un côté, les Chinois entendent rappeler au respect des principes onusiens et par voie de conséquence de l’intégrité territoriale des Etats. Si les mots ont un sens, cela signifie que la Russie devrait, à leurs yeux, se retirer de la totalité du territoire ukrainien, Crimée comprise. On comprend que les Ukrainiens se réjouissent de l’entrée en scène de la Chine mais, d’un autre côté, la diplomatie chinoise insiste sur le fait que rien ne pourrait se faire sans que les « intérêts de sécurité » de la Russie ne soient assurés.
Les Chinois légitimisent ainsi les raisons qui auraient poussé Vladimir Poutine à entrer en guerre alors même qu’il n’était en fait mu que par des visées impériales. Mieux encore, ils lui proposent un moyen de sauver la face en obtenant des garanties nouvelles lui permettant de justifier son retrait d’Ukraine, voire une renonciation à la Crimée. C’est évidemment sur cette question de la sécurité que tout va se jouer car quelles garanties de sécurité, et de qui, la Russie pourrait-elle obtenir et qui pourrait, en échange, garantir quoi à l’Ukraine qui, elle, n’est pas l’agresseur mais l’agressé ?
On voit bien ce que pourrait être l’aboutissement de tractations de coulisses puis de négociations officielles. L’Ukraine pourrait renoncer à rejoindre l’Alliance atlantique et se déclarer neutre mais obtenir un engagement de protection miliaire des plus grandes puissances militaires occidentales, Etats-Unis, France, Grande-Bretagne et, peut-être, Pologne. Ce n’est pas complètement par hasard que les conditions d’une telle protection sont de plus en plus débattues dans plusieurs des capitales concernées.
Something is cooking, il y a quelque chose sur le feu, mais rien de solide ne pourrait se faire sans qu’un accord de paix ne s’inscrive, au bout du compte, dans la définition d’une stabilité continentale fondée sur des garanties et contraintes s’imposant à tous, de Lisbonne à Vladivostok. On ne pourra sortir de cette guerre qu’en prenant le problème dans sa dimension continentale. Comme la France, les Chinois l’ont compris mais on n’y est pas encore.