Où est le plus important ? Est-ce que deux adversaires aussi irréconciliables que l’Iran et l’Arabie saoudite aient annoncé, vendredi 10 mars, le rétablissement de leurs relations diplomatiques sous deux mois ? Ou bien est-ce qu’ils l’aient fait de Beijing et grâce à l’entremise de la Chine ?

Il est trop tôt pour le dire car les conséquences de ce coup de théâtre sont encore à venir mais cinq constats s’imposent dès maintenant.  

Le premier est que la Chine a réussi là ce qu’aucune autre puissance n’aurait pu. La Russie n’aurait pas même pu tenter de le faire parce que son échec en Ukraine la décrédibilise et qu’elle est bien trop liée, surtout, à l’Iran pour que l’Arabie saoudite ait pu envisager d’en faire un honest broker. Les Etats-Unis restent, à l’inverse, trop proches de Ryad et sont bien trop critiques du régime des mollahs pour que Téhéran ait pu même penser à leur confier un rôle d’intermédiaire avec la monarchie saoudienne. L’Union européenne n’est, elle, pas encore assez perçue comme une union politique pour pouvoir agir en acteur de la scène internationale et aucun de ses Etats, pas même la France, ne peut y prétendre seul.

Deuxième puissance économique du monde et membre permanent du Conseil de sécurité, la Chine le pouvait en revanche d’autant mieux qu’elle est en bons termes avec tous les pays du Proche-Orient et, notamment, avec l’Iran, l’Arabie saoudite et Israël. Elle rêvait de s’affirmer en incontournable acteur de la scène politique internationale. Elle y est parvenue sur un terrain particulièrement difficile et ce succès fait d’elle une grande puissance à part entière, politique et non plus seulement économique.

Reste à voir si elle pourrait maintenant transformer l’essai en Ukraine. Ce serait autrement plus difficile mais pas forcément exclu et le deuxième constat à faire est que, dans « l’amitié sans limites » dont elles se réclament, la Chine pèse d’un tout autre poids que la Russie. En perte d’influence sur toutes ses frontières et très isolée sur la scène internationale, la Russie apparait depuis vendredi pour ce qu’elle est devenue en envahissant l’Ukraine : un puissance déclinante et pauvre dont le poids acquis par Beijing ne fait plus qu’un deuxième couteau, y compris au Proche-Orient où elle avait pourtant repris pied en sauvant la mise à Bachar el-Assad.

Le troisième constat est qu’il n’y a plus de blocs en ce début de siècle. Si un pays qui s’était autant placé que l’Arabie saoudite sous protection américaine depuis aussi longtemps peut se permettre de faire route commune avec la Chine, cela signifie que chacun peut désormais jouer sa partie au mieux de ses intérêts et comme il l’entend.

Là aussi, une nouvelle ère s’est ouverte, une ère d’anarchie internationale, et le quatrième constat à faire est que le compromis qu’il vient de passer avec Ryad signifie que le régime iranien a aujourd’hui besoin de concentrer ses forces contre la contestation dont il est l’objet depuis six mois.

C’est un aveu de faiblesse que la théocratie a fait là et le cinquième constat est que cet accord avec l’Arabie saoudite va sans doute permettre à ce régime d’échapper à toute menace de bombardement de ses installations nucléaires par Israël. Il y avait un front israélo-arabe contre l’Iran perse et chiite et ce front, l’Arabie saoudite lui a tourné le dos vendredi en préférant la paix à une épreuve de force régionale. Dans cette partie, le grand perdant a pour nom Benjamin Netanyahou.

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