A l’intérieur comme dans la diaspora, ils tâtonnent et se cherchent. Autant dire que les opposants russes sont encore loin de former une seule et même opposition avec des objectifs et un programme communs mais à Berlin il y a peu, la semaine dernière à Paris, au Parlement européen les 5 et 6 juin prochains, leurs réunions se multiplient et leurs convergences s’affirment car tous sont désormais convaincus qu’ils auront à définir le post-poutinisme.

Les uns croient l’échéance proche. D’autres comptent en années plutôt qu’en mois mais aucun d’eux ne donne longtemps à ce régime parce qu’un dictateur qui perd une guerre perd aussi le pouvoir et que pour Vladimir Poutine ne pas gagner, c’était s’embourber comme on le voit et bientôt perdre. Cet homme, pensent-ils, est virtuellement fini et le fait est que, si ce n’était pas le cas, Evgueni Prigojine ne se risquerait pas à annoncer une « révolution » en Russie, les peines prononcées contre ceux qui dénoncent la guerre de l’intérieur ne seraient pas aussi invraisemblablement lourdes et il n’y aurait pas autant de cadres de l’économie à se « suicider », poussés dans le vide après avoir tué femme et enfants.

Le pouvoir russe se délite et, pour ses opposants, la tâche est triple. Ils doivent tout à la fois se trouver des alliés au sein de la classe dirigeante, jeter les bases d’un futur modus vivendi entre la Fédération de Russie et l’Union européenne et créer un espoir de paix, de bien-être et de liberté dans la société russe.

Le premier de ces objectifs est le plus urgent des trois car pour les Russes et tout le continent, il est essentiel que la sortie de l’autocratie se fasse sans violence. Il faut que les plus réalistes des hommes des deux piliers de ce régime, les forces de sécurité et les grandes fortunes, puissent se convaincre qu’ils n’auraient rien à perdre à faciliter une transition vers la démocratie.

Nombre d’entre eux savent que Vladimir Poutine conduit aujourd’hui la Russie à une totale catastrophe qui pourrait vite se solder par un éclatement de la Fédération et de ses 89 Républiques, territoires ou régions. Ces hommes savent qu’il faut préparer un tournant mais, sans même parler de la peur qui les muselle, ils ne voient pas d’interlocuteurs avec lesquels jeter les bases d’un post-poutinisme et éviter ainsi une longue et sanglante plongée dans l’anarchie.

Les opposants russes doivent leur parler et se souvenir pour cela de l’intelligence avec laquelle les démocrates espagnols avaient accepté qu’une aile du franquisme ouvre la voie de la sortie du fascisme et d’élections libres. La transition espagnole fut un tel succès que c’est d’elle que s’était inspirée l’opposition polonaise sous l’impulsion d’Adam Michnik et c’est de ces deux précédents que les démocrates russes pourraient maintenant se nourrir.

Deuxième impératif, l’opposition russe devrait parallèlement engager un dialogue avec les pays de l’Union européenne sur les conditions d’une stabilisation militaire, économique et politique du continent. Il est indispensable qu’elle le fasse car elle aura autant besoin d’obtenir un soutien de l’Union quand elle arrivera aux commandes que de convaincre dès maintenant tous les Russes qu’ils n’ont rien à craindre de l’Union ni de l’Otan.

Ce dialogue, l’opposition ne pourra pas l’ouvrir avec les capitales européennes qui ne voudront pas sembler œuvrer à un changement de régime à Moscou mais elle peut en revanche l’amorcer avec le Parlement européen. Elle n’aurait pour cela qu’à répondre à « l’Adresse au peuple russe » qu’avaient cosignée, il y a un an, les présidents de cinq des groupes politiques du Parlement.

Ce texte par lequel la représentation européenne tendait la main non pas à Vladimir Poutine mais à la Russie attend une réponse. Il est temps pour l’opposition démocratique de la donner et ce jour-là, dans un dialogue avec les députés de l’Union, l’opposition deviendra une force ascendante, acteur incontournable de la scène européenne. Ses possibilités de contact avec la frange la moins aveugle des élites dirigeantes en seront augmentées et il ne restera plus alors aux démocrates russes qu’à proposer, comme l’avait fait le Conseil national de la résistance française, un programme commun à leurs concitoyens.

Court et refondateur, ce texte aurait un formidable impact politique s’il s’articulait autour de trois idées forces : les libertés et la démocratie, l’autonomie des 89 entités constituantes de la Fédération et l’équité sociale fondée sur un renouveau des services publics et l’arbitrage de l’Etat entre employeurs et salariés.

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