On ne sait pas. On ne sait ni ce que Vladimir Poutine a pu offrir à Evgueni Prigojine pour le convaincre d’interrompre sa marche sur Moscou ni ce que sont les garanties de sécurité que ce putschiste a su obtenir pour lui-même et ses hommes. On sait en revanche ce qui ne s’est pas passé dans cette journée du 24 juin et c’est là qu’est l’essentiel, dans l’addition d’anomalies qui disent l’affaiblissement du président russe.

Face, d’abord, à des mutins venus s’emparer de leur quartier-général, les généraux et officiers russes de ce centre de commandement qu’est Rostov auraient normalement dû opposer une résistance acharnée. Ils ne l’ont pas fait et cet empressement à ne pas combattre trahissait un refus de mourir pour un président dont l’aura s’est perdue, voire même l’espoir que son règne s’achève.

La gravité de la situation aurait alors dû susciter l’immédiate mobilisation des troupes les plus proches, celles du front ukrainien, mais nul ordre n’est venu du Kremlin. Comme s’il craignait que ses soldats ne fraternisent avec les mutins, Vladimir Poutine se contente d’aller à la télévision pour dénoncer, inexpressif et figé, un « coup de poignard dans le dos » et un danger de « guerre civile ». Cet homme qu’on avait un jour entendu promettre de poursuivre les Tchétchènes « jusque dans les chiottes » ne pose pas d’ultimatum à Evgueni Prigojine, n’ordonne aucune intervention militaire, pas même un prépositionnement, et n’appelle pas non plus à une mobilisation populaire alors que les contingents de Wagner progressent vers Moscou au pas de charge.

Il donne ainsi l’impression d’avoir moins peur des mutins que des ralliements qu’ils pourraient susciter dans l’armée et la population. Comme s’il voulait éviter qu’on puisse constater que militaires et civils lui tournaient le dos, Vladimir Poutine ne demande pas leur appui mais recherche en revanche celui des présidents kazakh et bélarusse par l’entremise desquels il veut entamer une négociation avec le putschiste qui vient de s’engager à le renverser.

Plus qu’un aveu de faiblesse, c’est un déshonneur absolu mais ce président n’a plus le choix car, mis à part le général Sourovikine, le bourreau d’Alep, personne ne se range à ses côtés. Silence de l’état-major, silence du FSB, silence des capitales amies, silence du gouvernement et particulièrement des ministres de la Défense et des Affaires étrangères. Le silence est assourdissant et c’est dans cette absolue solitude d’un président russe dont chacun se détourne qu’Alexandre Loukachenko accepte de jouer les intermédiaires.

Contrairement à celui du Kazakhstan, le président du Bélarusse s’y est résolu car il n’ignore pas que, si Vladimir Poutine tombe, il tombe aussi. La négociation durera jusqu’en début de soirée. On ne peut que supposer que Vladimir Poutine et son ancien homme de main se sont tous les deux dit qu’il y aurait forcément un perdant à leur affrontement et qu’un mauvais arrangement valait mieux qu’un risque certain.

On verra ce que tiendra leur deal mais, tandis qu’Evgueni Prigojine a pris date, Vladimir Poutine doit aujourd’hui écarter beaucoup des hommes qui ne l’ont pas soutenu samedi et tenter, surtout, de faire oublier la faiblesse qu’il n’a pas pu déguiser à la Russie, à l’Ukraine et au monde. Ce président n’est pas tombé mais il marche désormais sur un fil.

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