Si l’on remplace « France » par « Europe », Michel Rocard avait déjà tout dit. « La France ne peut pas accueillir toute la misère du monde », avait déclaré le Premier ministre de François Mitterrand il y a quelque trente ans, « mais elle doit en prendre fidèlement sa part », avait-il ajouté dans le même souffle.

C’est à la fidélité aux valeurs européennes de compassion et de protection des persécutés qu’il se référait car les traités que nous avons signés, la charité chrétienne et le simple humanisme nous interdisent de rejeter à la mer ceux qui fuient la guerre, la misère ou les persécutions. Ces valeurs sont sacrées mais elles ne sauraient aucunement signifier que l’Union européenne doive ouvrir ses portes à tous ceux qui vivent plus mal ou même beaucoup plus mal que nous.

Aussi cruel que cela soit, il nous faut faire la part entre réfugiés politiques et réfugiés économiques, entre ceux qui fuient la misère et ceux qui fuient la mort. Il le faut puisque, loin d’être illimitées, nos capacités d’accueil sont déjà totalement insuffisantes, que l’instabilité de nos voisinages orientaux et méridionaux grossit sans cesse le nombre de migrants et que l’ampleur de cet afflux alimente une peur de l’autre dont se nourrissent les partis de la haine.

Si l’on ne veut pas voir l’Union européenne basculer à l’extrême-droite et notre civilisation régresser, on doit prendre la question migratoire à bras le corps mais comment ?

La première chose à faire est d’admettre que nous avons là un problème à résoudre. Beaucoup d’élus, d’intellectuels et de militants associatifs répugnent encore à le faire par crainte de stigmatiser des migrants dont le seul crime est de fuir la mort ou de rechercher une vie meilleure. On peut comprendre leur préoccupation mais, à refuser la clarté à laquelle Michel Rocard nous appelait, on ne fait qu’aggraver un malaise politique absolument mortifère.

Un autre ancien Premier ministre français, Edouard Philippe, vient de dénoncer, dans les colonnes de L’Express, une « immigration du fait accompli » et de constater qu’on « crève des non-dits ». Il avait raison mais, s’il est effectivement absurde de nier que le nombre d’étrangers augmente régulièrement dans l’Union, qu’une grande partie d’entre eux sont musulmans et que beaucoup d’Européens s’en sentent menacés dans leur culture, d’autres vérités sont à rappeler.

L’intégration connait infiniment plus de réussites que d’échecs. Les musulmans d’Europe s’éloignent presque autant de la pratique religieuse que les chrétiens. Ce n’est pas parce qu’il est Syrien que l’assassin d’Annecy a poignardé des enfants et nos économies, qu’on le veuille ou non, ont besoin d’une main d’œuvre immigrée, dans la bâtiment comme dans l’agriculture et les services à la personne.

Alors oui, peut-être ces branches pourraient-elles se passer de bras étrangers en offrant des salaires plus élevés mais, outre que ce n’est pas certain, sommes-nous prêts à payer encore plus chers nos mètres carrés, nos restaurants, nos fruits, nos vacances et nos maisons de retraite ?

C’est un vrai débat. On ne peut pas parler d’immigration sans l’esquiver et la deuxième vérité à rappeler est que ce ne sont pas des murs qui arrêteront cette grande fuite vers l’Europe à laquelle seules deux choses pourraient mettre terme.

La première serait que l’Union européenne conditionne ses aides et ses accords de coopération à la réadmission par les pays de départ de ceux de leurs ressortissants auxquels le droit d’asile n’aurait pas été reconnu. Il y a là une épreuve de force à engager mais nous ne passerons pas de l’immigration du fait accompli à l’immigration choisie sans une plus grande fermeté vis-à-vis des Etats concernés.

Quant à la seconde chose à faire pour convaincre les candidats à l’émigration ne pas prendre la mer en radeaux gonflables, elle est de développer nos industries de main-d’œuvre sur l’autre rive de la Méditerranée plutôt qu’en Asie. Tout en luttant contre le réchauffement climatique par la réduction des temps de transport, l’Union européenne contribuerait ainsi à la stabilisation économique et politique de l’Afrique dont l’enrichissement offrirait bientôt un formidable débouché à ses exportations.

Humaines et porteuses d’avenir, les solutions existent. Elles ne demandent que de se hisser à la hauteur de l’enjeu.

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