Un mot, un seul, « ghetto », et vous comprendrez tout. Si vous vous demandez pourquoi la France voit si régulièrement les petits-enfants et arrière-petits-enfants de son immigration des années 60 – des Français car nés en France – descendre dans les rues pour tout casser, y compris les écoles, médiathèques et installations sportives dont ils vont ainsi se priver, la réponse est qu’ils vivent parqués dans des barres d’immeubles constituant des morceaux d’ailleurs à la périphérie des grandes villes.
Ce n’est pas l’apartheid. Ce n’est aucunement un racisme institutionnalisé et il suffit, pour s’en convaincre, d’entrer dans un bureau de poste, une banque, une école, un lycée ou un hôpital pour y trouver des chargés de comptes, des enseignants, des médecins et déjà même des chefs d’établissements scolaires ou de services hospitaliers dont les noms disent une origine maghrébine. Sans même parler des sportifs, des humoristes et des artistes, de célébrités comptant souvent parmi les personnalités les plus populaires de France, l’intégration à la française, par l’école et la méritocratie, marche infiniment mieux qu’on ne le croit et ne le dit mais ses échecs n’en sont pas moins patents.
Alors un peu d’Histoire. Lorsqu’il y a six décennies les grandes entreprises françaises décident, avec l’accord des pouvoirs publics, d’aller recruter en Afrique du Nord la main d’œuvre qui leur manque tant le boom économique de l’après-guerre ouvre de chantiers et fait tourner les chaines de production, il n’y a pas où loger ces hommes. Ils vivent alors dans des bidonvilles insalubres dont la multiplication est une telle honte pour la France qu’on leur ouvre bientôt les logements sociaux construits dans les banlieues des grandes villes. Au même moment, à la moitié des années 70, la République autorise le « regroupement familial » la venue des familles, femme et enfants, laissées au bled et ce sont ainsi des mères ne parlant pas un mot de français et souvent analphabètes qui élèvent des petits Français et les accompagnent à l’école.
A la maison, la télévision parle arabe aux mères déracinées tandis que les enfants grandissent dans une France où la montée du chômage leur ferme les portes de l’emploi plus souvent offert aux « Français de souche » qu’à ces « étrangers » pourtant Français. Une discrimination se crée, aggravée par la cassure, au sein même de ces familles, entre ceux qui réussissent malgré tout à l’école, plus souvent les filles que les garçons, et ceux que le système scolaire rejette. Les premiers vont quitter ce qu’on commence à appeler les « banlieues » alors que les seconds restent dans ces ghettos de la misère et de l’islam où la délinquance et le trafic de drogue assurent les revenus et développent des réseaux criminels.
Face au désastre qu’elle avait laissé croître, la République abdique et s’enfuit, fermant les commissariats de police et retirant ses fonctionnaires. Seuls les enseignants restent, parfois volontaires mais plus souvent à leurs corps défendant. Entre islamistes et dealers, ces territoires deviennent hors-la-loi – « les territoires perdus de la République », dira-t-on – et la police n’y entre plus que pour y procéder, méfiante et nerveuse, conspuée et agressée, à des perquisitions ou des arrestations. Dans ces ghettos, la République n’est plus que répression et la police l’ennemi de tous, celle qui « contrôle au faciès » dans les métros et que tous les descendants d’immigrés, même les mieux intégrés, considèrent donc comme raciste.
Pour un adolescent des ghettos, la haine de la police est totale. Pour un policier opérant sur ces territoires, la brutalité est un antidote à la peur et, face à ces émeutes, le seul sujet d’étonnement est qu’elles ne soient pas plus fréquentes. Tant que la République ne réinvestira pas ces territoires, elles dureront et se multiplieront.