Elles ne seront à nulles autres pareilles. Parce qu’elles auront en toile de fond deux guerres à nos frontières et l’éloignement des Etats-Unis, les élections européennes de juin prochain porteront pour la première fois sur des enjeux immédiats de sécurité commune.
Il ne s’agira pas d’élections de mi-mandat. Il ne s’agira pas même de départager des forces – socialistes et centristes, conservatrices et vertes – qui convergent déjà sur l’essentiel au Parlement européen comme au Conseil. Non, il s’agira de débattre des trois menaces auxquelles nous faisons face, de décider des meilleurs moyens que notre Union aura d’y répondre et de mandater le Parlement à cet effet.
A l’Est, Vladimir Poutine veut faire plier l’Ukraine avant qu’elle ne dispose d’avions de combat et qu’il n’ait à signer un nouvel ordre de mobilisation dont son autorité souffrirait. Sitôt passé le temps du dégel et des boues, une offensive russe est donc à craindre. Elle peut marquer des points et c’est à ce moment-là, lorsque les primaires battront leur plein aux Etats-Unis, que la campagne électorale s’ouvrira dans l’Union et qu’il se sera fait lui-même réélire, que Vladimir Poutine pourrait proposer un cessez-le-feu.
Ce serait pour lui le moyen de s’assurer un partage de l’Ukraine avant qu’une prolongation de la guerre ne devienne pour lui bien incertaine. Donald Trump et les extrêmes-droites européennes appelleraient à accepter cette offre. Les opinions occidentales en seraient divisées et Vladimir Poutine en sortirait gagnant à tout coup. Il se ferait au minimum applaudir par une part conséquente des échiquiers occidentaux et s’il réussissait à faire accepter sa proposition, il s’adjugerait le temps de préparer de nouveaux assauts, comme il l’avait fait après l’annexion de la Crimée.
Si nous ne voulons pas que le président russe poursuive ses visées impériales et continue à travailler à la division des Démocraties, il doit être clair que notre objectif est de le contraindre à admettre sa défaite et à rappeler ses troupes afin qu’une Russie démocratique puisse contribuer demain à la force et à la stabilité de notre continent commun.
Au Sud, c’est tout différent. Nous n’y avons pas un adversaire en face de nous mais un chaos croissant où se mêlent l’affirmation politique des monarchies pétrolières, l’haletante quête de survie du régime iranien, la détermination du Hamas à détruire l’Etat juif en lui faisant perdre la Raison et la cécité d’une droite israélienne croyant pouvoir échapper par la force à la création d’un Etat palestinien. Si nous ne voulons pas que ce chaos nous gagne, nous ne devons plus hésiter à mettre en balance nos accords commerciaux avec les Israéliens et notre soutien financier aux Palestiniens pour les conduire à négocier la coexistence de deux Etats.
A l’Ouest enfin, le défi est plus grand encore. Quel que soit leur prochain président, les Etats-Unis vont continuer à s’éloigner de l’Europe et si Donald Trump revient à la Maison-Blanche, il défera l’Alliance atlantique et s’entendra avec Vladimir Poutine sur le dos des Ukrainiens et de nos 27 Etats. Il a commencé à le faire en faisant bloquer l’aide américaine à l’Ukraine par ses amis de la Chambre mais une fois élu, il reconnaîtrait une suzeraineté russe sur le Donbass et la Crimée afin de nous affaiblir et de distendre les liens de la Chine et de la Russie.
Vite ou très vite, parce que le problème des Américains n’est plus la Russie mais la Chine et que Donald Trump voit en nous des rivaux à écarter, nous pouvons nous retrouver seuls face à Vladimir Poutine et aux chaos proche-orientaux. Ce moment, il ne faut pas l’attendre bras croisés mais mettre nos moyens en commun pour développer les industries paneuropéennes d’armement qui nous permettront d’assurer notre autonomie stratégique, de nous tenir aux côtés de l’Ukraine et peut-être aussi, s’il en est encore temps, de transformer l’Otan en une alliance entre deux puissances, les Etats-Unis d’Amérique et l’Union européenne.
Tout nous menace mais le plus grand danger pour nous serait de nous croire impuissants et perdus alors que nous ne le sommes pas.
Au coude à coude avec la Chine, nous sommes la deuxième économie du monde et pourrions rapidement conforter cette place puisque la croissance chinoise s’essouffle et que les Britanniques vont maintenant chercher à se rapprocher de l’Union par des coopérations industrielles, civiles et militaires. Notre monnaie est solide. Nous avons tous les moyens d’investir dans notre sécurité et tout est parallèlement en train de changer dans l’Union.
Il n’y a plus de tabou sur la Défense commune. Nous en sommes déjà à commander des munitions en commun et, au-delà des marchandages de M. Orban, l’Union reste unanime dans son soutien à l’Ukraine. Elle l’est tout autant sur la question israélo-palestinienne puisque les Etats-membres appellent tous à la création d’un Etat palestinien. Avec des positions communes sur les deux plus grandes crises du moment, l’Union fait ses premiers pas sur la longue route de la constitution d’une union politique et c’est unanimement encore qu’elle vient de décider d’ouvrir des négociations d’adhésion avec l’Ukraine.
Cela signifie qu’elle va progressivement s’élargir à huit nouveaux pays mais attention ! Elle ne peut pas le faire en se contentant d’espérer une suppression du droit de veto alors même que beaucoup de ses membres y sont attachés. Il faut être là beaucoup plus audacieux et aller vers une Union faisant coexister, sous un même drapeau, des degrés d’intégration différents.
C’est déjà le cas avec la zone euro ou l’espace Schengen auxquels ne souhaitent pas appartenir tous les 27. Il faudra nous inspirer de l’existant pour inventer l’Union de demain, celle d’un siècle où notre unité politique assurera notre rayonnement et notre souveraineté.