Derrière l’Allemagne, la France, l’Italie, l’Espagne et les Pays-Bas, quelle est la sixième puissance économique de l’Union ? Réponse : la Pologne. De tous ceux des 27 Etats membres sortis du bloc soviétique, quel est ainsi celui qui pèse le plus et de loin ? Réponse : la Pologne. Lequel des 27 Etats de l’Union entend désormais consacrer 4% de son PIB au renforcement de sa Défense ? Réponse : la Pologne.
Des deux Etats de l’Union qui avaient rompu avec la démocratie libérale, lequel vient d’y revenir par un vote sans ambigüité aucune ? Réponse : encore et toujours la Pologne et ce sont ces quatre raisons qui font aujourd’hui d’elle la nation indispensable à l’affirmation de l’Union européenne sur la scène internationale.
Sans elle, il serait difficile et bien trop long de convaincre les pays d’Europe centrale que nous devons nous doter d’une Défense autonome. Nous le devons d’urgence car, entre les chaos de la Méditerranée, les ambitions impériales de Vladimir Poutine et la polarisation chinoise des Etats-Unis, notre sécurité est menacée sur trois fronts. Nous le devons car un seul de nos pays, la France, dispose d’une véritable armée. Nous le devons car, bien plus grave encore, il n’est nullement impossible que Donald Trump ne revienne à la Maison-Blanche et n’entreprenne aussitôt de défaire l’Alliance atlantique pour mieux s’entendre avec le président russe, sur le dos des Ukrainiens et de l’Europe entière.
Tout nous oblige à pouvoir nous défendre seuls mais nous ne parvenons pas encore à nous sortir d’un entre-deux. D’un côté, la présidence Trump et l’agression russe contre l’Ukraine ont fait tomber le tabou sur la Défense commune dont plus aucun des Etats de l’Union ne refuse le principe. D’un autre côté, beaucoup des 27 se disent que la solidarité européenne pourrait leur faire défaut au moment où il faudrait faire front et continuent, en conséquence, à préférer tabler sur la protection américaine, aussi incertaine qu’ils la voient devenir.
Le problème est que l’Europe centrale n’a pas oublié que ni les Tchèques ni les Polonais n’avaient pu compter sur la France et la Grande-Bretagne face à Hitler. Dans ce débat, l’Histoire pèse lourd et l’Union européenne ne pourra pas devenir une puissance à même d’assurer sa Défense tant que la Pologne, et toute l’Europe centrale avec elle, n’auront pas soldé les comptes du siècle passé et reçu de leurs plus puissants partenaires de très solides garanties de sécurité.
C’est pour cela que la France s’attèle aujourd’hui à relancer le « Triangle de Weimar », l’instance de trilogue polono-germano-française créée après la chute du mur mais entrée en sommeil depuis trop longtemps. Avec la Fondation Batory, j’ai organisé mercredi dernier, au Parlement européen, un après-midi de débats à ce sujet. Le nouveau ministre français des Affaires étrangères, Stéphane Séjourné, vient de se rendre à Berlin puis Varsovie après avoir consacré à l’Ukraine son premier déplacement à l’étranger.
D’autres initiatives vont suivre car nous n’avons pas seulement à jeter les bases d’une industrie paneuropéenne de Défense mais également à inventer l’Union de demain, une Union à formats multiples dans laquelle devront coexister quelques trente-cinq pays dont les degrés d’intégration seront nécessairement différents. Là encore rien ne pourra sans faire sans que la Pologne, première des puissances moyennes de l’Union, ne soit aux avant-postes.