Prenons-en le pari. Ce jour du 1er février 2024 où les 27 chefs d’Etat et de gouvernements de l’Union ont alloué 50 milliards d’aide à l’Ukraine pourrait bien être retenu par l’Histoire comme celui de la naissance de l’Europe politique.

Il le pourrait non seulement car les 27 ont confirmé là leur volonté d’opposer leur unité aux ambitions impériales de Vladimir Poutine mais plus encore parce qu’au même moment les élus trumpistes de la Chambre des représentants continuaient de bloquer l’aide américaine à l’Ukraine. Le 1er février 2024, tandis que l’Amérique faisait défaut à la solidarité des démocraties, les Européens relevaient le gant et affirmaient leur volonté de défendre seuls la liberté, sans leur protecteur et tuteur de toujours.

Oui, c’est cette date-là que l’Histoire pourrait donner à la fin de l’ère du gendarme américain, à l’aboutissement du long processus de recentrage des Etats-Unis sur leur compétition avec la Chine et d’affirmation parallèle de l’Union européenne en acteur de la scène internationale sauf…

Sauf que trois conditions sont encore à remplir.

La première est qu’ensemble, les 27 dirigeants de l’Union disent aux 450 millions d’Européens que nous sommes en guerre, non pas à la veille d’envoyer des hommes en Ukraine et moins encore de marcher sur Moscou mais en guerre contre un autocrate qui voudrait restaurer un Empire en semant la désolation au cœur même de notre continent. Sans nous croire en 40, sans avoir à parler de sueur, de sang et de larmes, il faut le dire car cette résistance à Vladimir Poutine demandera de vrais sacrifices. Elle nous a déjà coûté le renchérissement de nos approvisionnements énergétiques, l’ébranlement consécutif de l’économie allemande et la perte de nos investissements industriels en Russie. Elle va nous demander maintenant d’allouer une part croissante de nos dépenses budgétaires à la Défense, de réaliser que nous avons un adversaire à vaincre, de créer sans plus attendre un instant des industries paneuropéennes d’armement – de sortir, en un mot, de cette insouciance qui nous laissait croire depuis 1945, et malgré la Yougoslavie, que nous ne verrions plus la guerre en Europe.

La deuxième condition à remplir est que les forces politiques européennes que la Russie œuvre tant à renforcer soient appelées à choisir. Les extrêmes-droites allemande, française, autrichienne, néerlandaise, la Lega italienne, les Démocrates suédois et tant d’autres doivent aujourd’hui s’expliquer sur leurs connivences avec le Kremlin. Ces partis ne peuvent plus se contenter du faux-semblant d’aveu qu’a a été le « Nous avons peut-être été naïfs » de Jordan Bardella. Les électeurs doivent pouvoir savoir à qui ils donnent leurs suffrages en votant pour des « patriotes » autoproclamés si prêts à vendre au Kremlin l’Ukraine, les Pays baltes et notre souveraineté au bout du compte.

La troisième condition à remplir est d’organiser, du centre-droit aux écologistes en passant par les socialistes et le centre-gauche, un front uni des forces démocratiques décidées à ne pas laisser le maître du Kremlin l’emporter. Il ne s’agit nullement d’effacer les différences d’approche entre familles politiques mais de nous souvenir que, dans la guerre, Churchill, de Gaulle et Roosevelt n’incarnaient pas des partis mais la volonté de vaincre.

A ces conditions nous l’emporterons car après deux décennies de poutinisme, ce pays le plus étendu du monde qu’est la Russie, ce pays gorgé de gaz et de pétrole, a le PIB non pas même de la France ou de l’Allemagne mais de l’Espagne ou des Pays-Bas, d’une seule des puissances moyennes de l’Union. Ce régime criminel et fatigué, ce pouvoir de voleurs et d’incapables, n’a rien d’invincible. Même sans les Etats-Unis, même seule, l’Union peut avoir raison de lui mais elle n’y parviendra pas sans se souvenir que la victoire est exigeante.

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