Le courage a un nom. Il s’appelle Navalny. Le courage dont cet homme a fait preuve, ce courage d’aller délibérément sacrifier sa vie pour la donner en exemple à un pays muselé, ce courage d’aller braver la mort en opposant jusqu’au bout, rire, sourires et ironie à ses bourreaux, ce courage d’ouvrir à mains nues de nouvelles routes à l’Histoire en défiant un tyran fauteur de guerre, menteur et assassin, ce courage ne fait pas que forcer l’admiration.

Il oblige aussi, il nous oblige tous à être à la hauteur, Européens, Russes et Américains mais le serons-nous ?

Rien n’est joué, bien sûr. Le sentiment général est même que débarrassé de son principal opposant, marquant des points en Ukraine et bénéficiant de l’hostilité que Donald Trump voue aux Européens, le président russe aurait le vent en poupe. Cela se dit et se lit beaucoup mais n’est pour autant pas certain.

Pour ces trois mêmes raisons, parce que le meurtre d’Alexeï Navalny, la percée russe à Avdiivka et le refus réitéré de Donald Trump de défendre les « délinquants » européens leur a fait entrevoir l’abîme d’une victoire de la Russie, les 27 haussent le ton. Le président français parle de la nécessité d’un « sursaut européen » contre le « régime du Kremlin » qu’il dénonce comme un « acteur méthodique de la déstabilisation du monde ». Le chancelier allemand parle, lui, du besoin de « renforcer le pilier européen de l’Otan » et de développer en commun et sur le long terme nos industries de Défense. Dans plusieurs capitales l’heure est au mea culpa sur la trop lente prudence avec laquelle l’Union a armé l’Ukraine.

Petits et grands, de l’Est et de l’Ouest, les Etats membres serrent les rangs et le Parlement européen comme la Commission appellent à une mobilisation générale. Les mots sont nouveaux. Ils sont forts et il y a toute raison de croire qu’ils seront suivis d’effet car avant même les signaux d’alarme de ces derniers jours, les 27 avaient enfin admis la nécessité d’une Défense commune, vidé leurs arsenaux pour soutenir l’Ukraine et relancé leurs productions d’armements. Fin 2024, l’Union aura produit un million de munitions. L’an prochain ce sera deux. L’effort financier en faveur des armées s’accroît partout et deux idées se sont maintenant imposées en Europe.

La première est qu’il faut que l’Union puisse aider l’Ukraine à elle seule, sans les Américains, si Donald Trump l’emportait en novembre. La deuxième est que, Trump ou pas, le recentrage des Etats-Unis sur le défi chinois est inéluctable et que l’Europe doit se préparer à assumer de plus grandes responsabilités dans l’Alliance atlantique et même à voir les Américains s’en détourner et l’affaiblir.

Dos au mur, contrainte par l’éloignement américain et les nostalgies impériales du Kremlin, l’Union entame sa marche vers l’union politique. Elle n’aura rien d’aisé et rien ne garantit son succès sauf la nécessité qui déjà fait loi.

Pour ce qui est maintenant du régime russe, la période lui est favorable. Pour plusieurs mois encore, l’Ukraine manquera d’armes et restera dépourvue d’une protection aérienne. Sous quelques semaines, les troupes russes pourraient ainsi tenter une offensive. Les points qu’elles pourraient alors marquer donneraient à un Vladimir Poutine réélu sans adversaires ni débats une aura d’invincibilité qui lui permettrait de proposer un cessez-le-feu consacrant ses annexions.

Le régime russe peut autrement dit s’assurer un semblant de victoire grâce auquel il pourrait gagner le répit nécessaire à la reconstitution de ses forces et au lancement de nouvelles offensives. C’est le scénario noir. Il n’est pas inenvisageable mais pour de vrais succès du régime russe, le temps est court. L’Ukraine aura bientôt une flotte aérienne que les Européens se sont décidés à lui fournir en même temps que de nouvelles munitions. Elle se bâtit un système défensif auquel se heurteront les tentatives d’avancées russes. Vladimir Poutine peut, en un mot, ne toujours pas avoir de victoires convaincantes à son actif lorsque, l’hiver prochain, l’absolue priorité donnée à l’industrie militaire suscitera des difficultés sociales génératrices de mécontentements politiques.

La stabilité interne de la Russie n’est pas assurée. La base sociale de Vladimir Poutine se rétrécit. A l’automne prochain, le courage d’Alexeï Navalny pourrait faire sortir de l’ombre des résistants qui s’ignorent encore aujourd’hui et reste donc Washington.

Donald Trump et ses amis de la Chambre des Représentants se couvrent de honte en bloquant l’aide que la Maison Blanche voudrait apporter à l’Ukraine. Chaque jour qui passe, l’ancien président et sa bande se rendent responsables de centaines de morts ukrainiennes. Ils décrédibilisent les Etats-Unis, se déshonorent et érodent la solidarité transatlantique. Ils sont devenus un facteur de risque international et s’ils reviennent aux Affaires, l’Union européenne devra faire face à un allié américain cherchant à s’entendre sur son dos avec Vladimir Poutine. L’Union doit être prête au pire mais le fait est que la crainte de se retrouver nue, sans parapluie américain ni Défense propre, la réveille et l’oblige à se réinventer. Les Européens ont besoin d’Europe et c’est avec une force nouvelle que cette évidence s’impose.

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