Tribune parue dans Libération le 11.06

Oui, bien sûr, ces résultats sont presque partout accablants, et surtout en France. Avec des extrêmes-droites dont l’addition atteint quelque 40% des suffrages exprimés, la France sort bien évidemment affaiblie de ces élections européennes et pourrait bientôt l’être encore plus, tragiquement plus, si les élections anticipées auxquelles Emmanuel Macron a décidé d’appeler dimanche donnaient, dans moins d’un mois, le pouvoir aux lepénistes.

Cette dissolution est un pari plus que risqué mais, outre qu’il n’y avait guère d’autres options, ce qui est maintenant fait ne peut être défait. L’heure tourne et plutôt que de perdre son temps à débattre de la pertinence de ce choix, il s’agit maintenant de ne pas laisser gagner le parti qui voulait hier sortir de l’euro, demandait l’onction de MM. Trump et Poutine et applaudissait le Brexit en qualifiant l’Union européenne de « prison des peuples ». Si Marine Le Pen et son protégé avaient été élus en 2017, les 27 pays de l’Union n’auraient pu ni faire face à la pandémie, ni emprunter pour relancer nos économies, ni soutenir l’Ukraine contre son agresseur.

Ce à quoi nous avons alors échappé nous dit ce qu’il faut, à tout prix, éviter aujourd’hui mais comment faire ?

Il revient d’abord au président de la République, à celui a parié sur cette dissolution de l’Assemblée, de définir les priorités auxquelles il veut consacrer la fin de son mandat et de créer ainsi, avec la droite et la gauche, un climat de consensus national indispensable à l’échec du Rassemblement national. C’est à Emmanuel Macron de prendre l’initiative d’une nouvelle page mais rien ne se fera sans la gauche.

La gauche doit s’unir sur un programme que toutes ses composantes puissent accepter. C’est en resserrant ses rangs qu’elle doit aller à la bataille en mobilisant tous ses électeurs contre une victoire de l’extrême-droite. Les gauches doivent, autrement dit, accepter les compromis nécessaires à leur unité mais doivent s’engager, dans le même temps à se désister au seond tour pour tous les candidats de droite et du centre qui resteraient en lice contre le RN et qui se seraient engagés, de leur côté, à se désister pour la gauche partout où elle serait en position de l’emporter.

Si elle veut être elle-même et se donner toutes les chances de faire le plein de ses voix, la gauche doit impulser, contre l’extrême-droite, un combat commun de tous les républicains mais beaucoup de ses figures et l’une au moins de ses composantes ne le voudront pas. Il ne peut y avoir de désistements, diront-elles, qu’entre les gauches et certainemnt pas entre les gauches et les droites, fussent-elles républicaines. Y compris dans la gauche modérée, c’est même une évidence pour beaucoup de militants mais que se passe-t-il aujourd’hui non pas seulement en Europe mais dans le monde entier ?

Une partie des droites acceptent de gouverner avec les nouvelles extrêmes-droites en ascension. Petit à petit, des rapprochements et fusions s’opèrent ainsi et donnent progressivement naissance à de nouvelles droites, nationalistes, réactionnaires, toujours plus illibérales et très comparables à celles qu’ont créées Donald Trump aux Etats-Unis et Viktor Orban en Hongrie.

Contre ces droites, toutes les forces attachées aux libertés, à la protection sociale et à l’unité européenne pour ce qui est des Européens sont conduites à faire front dans des mouvances ou coalitions allant des centres à la social-démocratie en passant par les Verts et certaines des gauches utopistes. Non seulement ce sont des coalitions de ce type qui viennent d’ébranler Narendra Modi en Inde après avoir renvoyé les nationalistes polonais dans l’opposition mais c’est également la réalité du Parlement européen. A Strasbourg, la social-démocratie, le centre et la droite alignent leurs forces pour décider ensemble, avec le fréquent soutien des Verts et dans de permanents compromis, des politiques à proposer, défendre et mettre en oeuvre.

Cette coalition sera reconduite dans la mandat qui s’ouvre. Si ce n’était pas elle, ce serait tout ce qu’il faut éviter : l’alliance des deux extrêmes-doites et d’une partie de la droite – l’alliance dont c’est en France maintenant qu’il faut parer l’affirmation. Sans même aller jusqu’à former la coalition démocrate dont elle est partie prenante à Strasbourg, sans aller plus loin que des désistements entre démocrates, la gauche française ne peut autrement dit plus continuer à refuser à Paris ce qu’elle a raison de faire à Strasbourg.

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