Ça viendra. Ça ne peut que venir mais comme il est navrant, préoccupant, stupéfiant, que l’Allemagne n’ait pas immédiatement dit « oui » à la France après qu’elle a proposé à l’ensemble de ses partenaires européens un « dialogue stratégique sur le rôle de la dissuasion nucléaire française dans notre sécurité collective ».  

La France avait ainsi ouvert la porte à une mutualisation de sa force de frappe. Par la bouche de son président, elle avait déclaré que ses « intérêts vitaux avaient désormais une dimension européenne ». A l’heure où le parapluie américain devient tellement incertain, la France avait offert d’y ajouter le sien en étendant sa protection nucléaire à toute l’Union. Mieux encore, dans ce discours prononcé vendredi à l’Ecole de guerre, Emmanuel Macron avait déclaré que chacun des Etats-membres qui accepterait ce dialogue stratégique pourrait alors être « associé aux exercices des forces françaises de dissuasion ».

La France avait totalement rebattu les cartes et…

Rien, rien qu’un silence abyssal à Berlin et dans chacune des capitales de l’Union alors même que le président de la République avait pris soin de désarmer d’avance les méfiances et malentendus que son initiative pourrait susciter.

Il avait dit que la Défense commune devait être « un pilier européen au sein de l’Otan », que l’Alliance atlantique était et devait demeurer incontournable et que l’affirmation d’une Défense européenne ne pouvait relever de l’antiaméricanisme prêté à la France alors même que nos alliés américains nous demandent d’accroître notre effort en matière de sécurité. Le président français avait également abordé les questions éthiques que la possession de l’arme nucléaire pose à Berlin. Il avait, en un mot, montré qu’il n’ignorait rien des problèmes que sa proposition pourrait poser à nos partenaires allemands mais l’on n’a pas même entendu l’Allemagne exprimer trois mots d’intérêt courtois.

Les choses bougeront, forcément. La chancellerie ne pourra pas longtemps faire comme si ce discours n’avait pas été prononcé mais, question, pourquoi tout est-il si lent dès qu’on parle de modifier le statu quo européen et pourquoi les propositions françaises se heurtent-elles, les unes après les autres, à un silence si pesant et systématique ?

La première raison a un nom et ce nom est Macron. Jeune, hyperactif, sur tous les fronts en même temps, ce président décoiffe et essouffle ses partenaires européens en les mettant en situation de devoir réagir à ses initiatives plutôt que d’aussi peu agir qu’ils en ont l’habitude. L’Allemagne supporte mal de n’être ainsi plus seule aux commandes, fixant l’ordre du jour et s’assurant de majorités favorables à ses thèses. Elle le supporte d’autant moins que sa Chancelière est partante après avoir si longtemps régné sur l’Union et que les nouveaux équilibres allemands ne se sont pas encore trouvés.

Londres est maintenant ailleurs. Berlin se cherche. Rome et Madrid sont en crises rampantes. La douleur de l’amputation britannique ronge les Pays-Bas et, Pologne en tête, l’ancienne Europe communiste est si terrifiée par l’éloignement américain qu’elle craint de le consacrer en acceptant de seulement envisager les conséquences qu’il faut pourtant en tirer.      

 Habités par leurs colères sociales, les Français ne le voient pas mais la France est devenue le navire amiral d’une flotte européenne dont les bâtiments nationaux n’ont plus de commandants. Alors Emmanuel Macron crispe tout autant le reste de l’Union que la France. Sa vitalité est aussi insupportable à Berlin qu’aux deux tiers des Français et l’on ne sait que lui répondre car il a toujours dix propositions d’avance.

Ce président va trop vite.

Il serait temps qu’il s’en rende compte, retienne son pas et revienne vers les troupes perdues à l’arrière. Il a d’ailleurs commencé à le faire vendredi en s’obligeant à formuler sur l’Otan des choses qu’il oubliait d’ordinaire de préciser car elles sont trop évidentes à ses yeux mais Emmanuel Macron n’est pas le seul problème.

Bien plus que sur ce coureur de fond, l’Union bute aujourd’hui sur l’ampleur des changements à entreprendre. Le chaos semé par Donald Trump sur la scène internationale et ses sorties contre l’Alliance atlantique et la volonté qu’aurait l’Union de mettre à mal l’économie américaine ont réveillé les Européens. Les idées de Défense européenne, d’investissements communs dans les industries d’avenir et d’affirmation politique de l’Union font désormais consensus mais chacun ou presque en a des conceptions différentes.

Est-ce que les investissements communs signifient qu’on en vient à une politique industrielle de l’Union ? Est-ce que l’affirmation politique des 27 peut ou non signifier qu’ils assument de diverger des Etats-Unis sur d’autres dossiers que l’Iran et pas seulement en mots ? Est-ce que la Défense commune peut ou non conduire l’Union à accepter cette mutualisation de la dissuasion française et à dire ainsi que l’Europe ne suppliera pas à n’importe quel prix les Etats-Unis de bien vouloir continuer à la protéger ?

A Paris, la réponse est claire mais elle ne l’est pas plus à Berlin que dans aucune autre des capitales européennes. Défense, investissements et affirmation politique, l’Union accepte désormais ce qu’elle refusait il y a encore si peu mais à l’heure des choix, sitôt que l’on sort des principes pour entrer dans le concret, le vertige est tel, si profond et compréhensible, que l’effroi tétanise en bloc 26 Etats petits et grands. Parce que Donald Trump peut être réélu et que nécessité fait loi, cela ne durera pas toujours mais vivement que cela cesse, au plus vite.  

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