Les critères de Maastricht ont vécu, et l’ère thatchérienne avec eux. On n’y reviendra pas, pas avant longtemps en tout cas et certainement pas sous la forme qu’on a connue, car ce qui les a tués est un faisceau de convergences dans lequel le coronavirus ne fait que donner le coup de grâce à ces plafonds sous lesquels l’Union s’essoufflait.

Au début de ce tournant, il y eut Trump. En mettant en doute l’automaticité du parapluie américain et déclarant que l’unité européenne n’avait été conçue que pour venir concurrencer l’économie des Etats-Unis, Donald Trump a soudain convaincu l’Union qu’il lui fallait jeter les bases d’une Défense commune et invertir en commun dans la recherche et les industries d’avenir.

Tout reste faire mais, grâce à Trump, ce qui était tabou est devenu consensuel et la Chine, à son tour, a fait bouger les choses lorsque les capitales européennes ont réalisé que la 5G était chinoise, que les armées chinoises pouvaient faire ce qu’elles entendaient en Mer de Chine du Sud et que le sort de Taïwan se jouait à Hong Kong. Défiée par les faits accomplis russes en Ukraine et au Proche-Orient, l’Europe l’était aussi par la puissance économique et militaire de Pékin alors même que l’allié américain devient incertain et que le chaos grandit sur l’autre rive de la Méditerranée.

Bien avant que ne se développe cette pandémie, le problème n’était déjà plus d’équilibrer les budgets et de limiter les déficits. Il était d’exister et s’affirmer dans un monde où chacun des plus grands joue brutalement sa carte et ce n’est pas tout.

Depuis que l’extrême-droite bouleverse la donne jusqu’en Allemagne et en Espagne, les plus rigoristes des Européens ont bien dû admettre, même à Berlin, que l’austérité pouvait tuer l’économie en semant le mécontentement social et renversant les échiquiers politiques. Les Gilets jaunes, Vox et l’Afd avaient ainsi ébranlé trois décennies de certitudes néo-libérales au moment précis où l’industrie allemande s’est redécouvert une fragilité qui a redonné droit de cité à l’arme budgétaire.

Le coronavirus n’avait, autrement dit, pas encore fait la moindre victime en Chine que Keynes amorçait son retour, qu’il n’était plus aussi indiscutable que l’Etat fût le problème et pas la solution, qu’on redécouvrait, en un mot, les mérites de la puissance publique, de la protection sociale, des politiques industrielles et des investissements communs.

En dédiabolisant les déficits et imposant la nécessité d’une flexibilité budgétaire face à la pandémie, le coronavirus n’a fait que consacrer la sortie du cycle ouvert par la première victoire électorale de Margaret Thatcher et la révolte antifiscale de la Californie des années 70. Quarante ans après, c’est un nouveau cycle que l’Europe amorce et il n’y aurait rien d’étonnant à ce que les Etats-Unis la suivent lorsqu’ils découvriront, face à une catastrophe sanitaire annoncée, les avantages d’une couverture médicale garantie à tous par la solidarité nationale et les mérites de ce modèle européen que leur prêche Bernie Sanders.  

Oui, peut-être, dira-t-on, ce n’est pas impossible mais, pour l’heure, les Etats européens referment leurs frontières et ce sont leurs gouvernements, pas plus la Commission que le Conseil ou le Parlement, qui sont à l’œuvre. En effet, mais il n’y a pas que les Etats qui se replient. Les Etats isolent aussi des villes et des régions comme la Chine l’avait fait avant nous. Il n’y a rien là d’absurde ou d’alarmant pour notre unité et il n’est pas non plus surprenant que les gouvernements nationaux soient aux commandes puisqu’il n’y a pas de gouvernement européen.

Aussi regrettable que ce soit, l’Union n’est pas une fédération, pas encore, et le fait majeur est aujourd’hui que la Commission, l’Allemagne, la France, le Parlement et l’ensemble des capitales européennes convergent autour de l’idée qu’il faille « quoi qu’il en coûte » relever la convergence des défis par une volonté politique commune d’investissements communs et de relance budgétaire. Cela n’assure pas une immédiate unanimité dans la décision mais le tournant est pris, celui d’un changement d’époque.

Paru dans le Huffington Post sous le titre : « La deuxième mort de Madame Thatcher », le 20 mars 2020

https://www.huffingtonpost.fr/entry/le-coronavirus-signe-la-deuxieme-mort-de-margaret-thatcher_fr_5e73eb13c5b6f5b7c541316d

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