Dans la crise, il faut aussi penser à son lendemain. On peine à le faire car comment envisager l’après-crise alors que tant de drames sont encore à venir, en Afrique, aux Etats-Unis, en Grande-Bretagne, dans tous les pays en guerre, dans toute l’Union européenne, aussi, mais toute pandémie a une fin.

Vient alors le temps de la reconstruction et le précédant à méditer est celui des années trente. La crise de 29 n’avait pas pour cause un virus mais un krach boursier. La différence n’est pas mince mais, comme le « jeudi noir » de Wall Street, le Covid-19 n’a mis que quelques semaines à frapper tous les continents et précipiter  l’économie mondiale dans une tourmente qui avait obligé et obligera les Etats à adopter de nouvelles approches.

Cela avait été, hier, le New deal et le nazisme mais aujourd’hui, dans quatre ou six mois veut-on dire ?

Eh bien, à la fin de l’été, l’alternative pourrait bien être, d’un côté, un système national-autoritaire qui se cherche entre Inde et Russie, Chine et Hongrie et, de l’autre, la démocratie libérale, celle des élections et de l’alternance mais, également, de ces indispensables contre-pouvoirs que sont une presse libre, une magistrature indépendante et la liberté d’analyse et d’opinion.

Comme le souligne Michel Duclos dans une remarquable note de l’Institut Montaigne, la Chine de Xi Jinping dispose, là, de nombreux atouts. Lorsque sa production a été si provisoirement ralentie par ce coronavirus, le cours des matières premières s’en est partout ressenti tandis qu’aux Etats-Unis comme en Europe nombre d’entreprises se paralysaient parce qu’elles ne peuvent plus tourner sans pièces détachées et main-d’œuvre chinoises. Des deux côtés de l’Atlantique, on a parallèlement découvert que le monde dépendait désormais de la Chine pour des approvisionnements aussi essentiels que les médicaments et l’équipement paramédical. 

Avec ses exportations de masques vers des pays européens qui en sont si cruellement dépourvus, la Chine peut aujourd’hui se poser en bienfaiteur du monde et bientôt peut-être, en Afrique notamment, en sauveur de pays entiers. Parce qu’il a su recourir à un confinement obligatoire dont tant d’autres pays se sont maintenant inspirés, Xi Jinping peut non seulement faire oublier que c’est sa dictature qui est responsable de la pandémie car c’est elle qui avait muselé les premiers lanceurs d’alerte chinois mais aussi faire passer l’autoritarisme pour plus efficace que la démocratie. Dans cette crise, la Chine et une large part de l’Asie avec elle ont pris, en un mot, la place de cœur du monde que les Etats-Unis avaient occupé depuis leur entrée en guerre contre l’Axe.

Si épouvantable qu’il soit, le régime chinois n’est pas le nazisme mais, en ce moment même, sous nos yeux, comme le nazisme hier, il devient pourtant l’alternative à la démocratie occidentale, triplement affaiblie par un président américain qui n’est pas vraiment Roosevelt, par le retard qu’a pris l’Union européenne à s’affirmer en puissance politique et par la confusion s’inscrivant dans tant d’esprits entre la démocratie libérale, la croissance des inégalités et le recul de la protection sociale.

La Chine et la Russie feraient passer les Etats-Unis pour égalitaires. Mieux vaut – et c’est tout dire – la protection médicale des Américains que celle des Russes ou des Chinois mais, dans un monde en désarroi, la séduction de la poigne et du nationalisme sont telles que l’autoritarisme marque des points.

On peut se rassurer en constatant que les sachants et les forces politiques modérées – les « élites » honnies – reprennent du crédit au détriment des nouvelles extrêmes-droites européennes et des Trump, Johnson et Bolsonaro. C’est vrai. Le danger redonne l’avantage à la Raison mais qu’en sera-t-il lorsque nous serons en pleine crise économique et que la violence sociale succédera à celle des « priorisations » auxquelles doivent recourir les services de réanimation ?

Ce n’est pas joué d’avance. La démocratie est loin d’avoir gagné l’autre guerre qui s’annonce mais elle a une carte à jouer dont le nom est Biden, Joe Biden, possible et de moins en moins improbable successeur de Donald Trump.

L’ancien vice-président de Barack Obama n’incarne pas la modernité. Il mobilise infiniment moins la jeunesse américaine que ne le fait Bernie Sanders mais cette figure du Parti démocrate, aussi populaire dans le monde ouvrier que dans la classe moyenne noire, a l’immense avantage d’être attaché à la concertation internationale, à l’alliance avec l’Europe et à la défense de la justice sociale. Dans la crise économique qui battra son plein en novembre, il peut être l’homme d’un nouveau New deal, de l’indispensable rupture avec le néo-libéralisme de Ronald Reagan et Margaret Thatcher et d’une concertation avec l’Europe en vue d’un front commun contre l’autoritarisme.

Ce front, les démocrates européens devraient s’obliger à en jeter les bases, sans plus perdre une seconde, avec les équipes de Joe Biden et à le bâtir autour de deux idées force. La première est le retour de l’Occident à la justice fiscale et à l’équité sociale. La seconde est la redéfinition de l’Alliance atlantique en une alliance de deux ensembles égaux, les Etats-Unis et l’Union européenne dont Washington doit maintenant encourager et soutenir l’affirmation politique. Il faut anticiper la prochaine bataille, unir les forces de la démocratie avant qu’elle n’ait perdu contre le national-autoritarisme.        

Paru dans Libération.fr le 24 mars 2020

https://www.liberation.fr/debats/2020/03/24/le-jour-d-apres_1782790

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