On entend que l’efficacité serait chinoise. Cela se murmure et se dit toujours plus et, oui, c’est absolument vrai car on a rarement vu un pouvoir politique réussir, en un tour-de-main, à provoquer une pandémie, placer la moitié du genre humain en confinement et, sans doute, bientôt plonger l’économie mondiale dans une crise dont l’ampleur pourrait être absolument spectaculaire.

Et le mieux est que ce régime n’a dû recourir, là, qu’à la simple et banale recette policière consistant à interdire toute libre parole à qui que ce soit, quel qu’en soit l’objet et quelles que soient les circonstances. Un jeune et noble médecin alerte sur le début d’une étrange épidémie ? D’autres le suivent dans ce constat et sonnent l’alarme à leur tour ? Si on les avait entendus la Chine et le monde auraient gagné deux mois et probablement pu circonscrire le mal mais – Dieu merci ! – l’efficacité chinoise était au rendez-vous.

Elle a su museler ces lanceurs d’alerte, laisser courir le virus et lorsqu’une région entière, un pôle industriel directement connecté au reste de la planète, a été contaminé, le mal était fait. L’efficacité chinoise avait triomphé et c’est de cette dictature dont on vante aujourd’hui les mérites, tellement plus grands que ceux des démocraties où la parole est abominablement libre.

Je ne comprends pas bien.

J’ai dû manquer un épisode mais on entend aussi, et tout aussi fort, peut-être même plus fort encore, que celle qui aurait vraiment fait l’irréfutable preuve de son inefficacité serait l’Union européenne. Vous rendez-vous compte ? Où sont les masques ? Où est la solidarité entre pays membres ? Et ce virus, pourquoi « Bruxelles » n’était-elle pas prête à le combattre ?

« Ah, elle est belle votre Europe ! », dit un bruit de fond magnifiquement orchestré par toutes les extrêmes-droites et par cette nouvelle intelligentsia europhobe, nationaliste et si délicieusement passéiste mais… Attendez !

Là, je comprends encore moins car vous lui reprochez quoi à cette pelée, cette galeuse ? De ne pas assez exister ou de trop empiéter sur les prérogatives des Etats ? Il faudrait savoir car c’est bien au nom de la souveraineté nationale, de l’inefficacité de la bureaucratie bruxelloise et de ce droit sacro-saint à au moins pouvoir encore se soigner chez soi comme on l’entend que la Santé ne relève pas des institutions européennes mais des Etats-membres.

La Commission n’était pas armée mais totalement désarmée face à cette pandémie mais à qui la faute ? Aux « européistes » ou aux europhobes ? Et s’il était bien – vraiment bien, n’est-ce pas ? – que la Santé ait été épargnée par l’appétit liberticide de l’ogre européen de quoi se plaint-on ?

De ce que la Banque centrale européenne ait été assez sage et, surtout, assez puissante pour calmer l’affolante panique des marchés en mettant sur la table des sommes jamais vues et qu’aucune banque centrale d’aucun des Etats nations n’aurait pu mobiliser à elle seule ? De ce que la Commission ait aussitôt suspendu les règles budgétaires communes pour permettre aux gouvernements nationaux de faire face à une telle augmentation de leurs dépenses ? De ce qu’aucune capitale ne se soit opposée, pas une seconde, à cette mesure qui viole pourtant tout l’esprit des traités et les plus fondamentales des conditions mises à la création de la monnaie unique lorsqu’on avait « gravé le libéralisme dans le marbre », comme cela se disait à l’époque avec tant d’effroi ?

J’ai dû manquer un épisode.

Non ! C’est toute la première saison que j’avais dû zapper dans mon aveuglement mais, là, je comprends toujours moins car, dernier point, ces emprunts communautaires que les Pays-Bas, l’Allemagne et quelques autres, un ou deux de moindre importance, ont encore une fois refusé de laisser l’Union lancer pourquoi provoquent-ils tant d’émotion ? Pourquoi la division qu’ils suscitent entre les 27 leur est-elle si vivement reprochée ?

Moi, le fédéraliste européen, je ne comprends que trop bien la colère que je partage avec tous les partisans d’un approfondissement de l’Union. Nous aurions voulu, et voulons toujours car cette cause est loin d’être perdue, que les obsédés de l’équilibre budgétaire oublient un instant leurs dogmes et comprennent que, dans un tel drame, il ne s’agit plus d’Etats dépensiers et d’Etats vertueux mais d’une indispensable et vitale solidarité entre Européens.

Notre déception, notre fureur sont logiques mais vous, les europhobes, pourquoi ne dansez-vous pas de joie et ne félicitez-vous pas Berlin et La Haye de penser à leurs coffres et à leurs citoyens plutôt qu’à ces mangeurs de grenouilles ou de tortillas et autres pizzaiolos ? Car enfin, voilà du nationalisme, du bon, du vrai ! Les Néerlandais pensent à eux avant de penser au Club med, à l’Europe du sud, exactement comme M. Trump clame « America first ! » et comme les Français feraient mieux de penser aux autres Français qu’à la solidarité avec des Espagnols et autres Roumains.

Cette affaire des emprunts, ce n’est pas une honte. C’est le triomphe de la Raison contre cette idéologie « sans-frontiériste » et dépassée dont relève cette utopie européenne. Voilà ce qu’on devrait entendre plutôt que ce long cri contre l’Europe qui n’est pas au rendez-vous. Voilà ce qui serait au moins logique mais la cohérence n’est apparemment pas la première qualité des europhobes. A défaut de comprendre leur raisonnement, je vais donc continuer à penser et à dire, et sans crainte de contrarier l’europhobie montante, que nous nous affaiblirions en nous divisant, que cette crise ne démontre pas l’urgence d’un divorce mais la nécessité d’une puissance publique européenne et que si MM. Xi, Trump et Poutine aiment tant l’Europe qu’ils préféreraient qu’il y en ait 27 ce n’est pas pour nos beaux yeux mais pour leurs intérêts de puissance.  

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