Rien n’est encore joué mais on sort du cauchemar. Rien n’est encore joué puisqu’une grande partie des électeurs républicains demeure convaincue que la victoire leur a été volée par une conjuration de forces occultes ; que Donald Trump fera tout ce qu’il pourra pour accréditer ces délires et attiser les tensions ; que les Démocrates peuvent toujours avoir à gouverner contre un Sénat républicain et qu’en tout état de cause Joe Biden devra compter à la fois avec cette profonde division de l’Amérique, le désastre médical que lui lègue son prédécesseur et le discrédit international, surtout, que ces quatre dernières années ont valu aux Etats-Unis.

On sort du cauchemar car le Néron des temps modernes devra quitter la Maison-Blanche mais l’affaiblissement que connaissent aujourd’hui les Etats-Unis est pain béni pour les dictatures et dessert la démocratie sur toute la surface du globe. Mondiaux, les dégâts commis par M. Trump sont si graves qu’ils exigent des démocrates européens et américains qu’ils sachent renforcer leur solidarité et faire preuve, les uns comme les autres, d’assez d’audace intellectuelle pour pérenniser l’Alliance atlantique.

En Europe, nous ne pouvons plus faire comme si le retour d’un homme d’Etat aux commandes de l’Amérique nous garantissait la même protection militaire que du temps de la Guerre froide. Les Etats-Unis n’ont plus d’intérêts vitaux à défendre en Europe. Ils n’ont même plus d’approvisionnements pétroliers à s’assurer au Proche-Orient et leurs priorités, on le sait, sont aujourd’hui le Pacifique et l’Asie, la zone où ils doivent relever le défi que leur jette la Chine.

Sauf à nous retrouver nus face aux nostalgies impériales de MM. Poutine et Erdogan, aux chaos des mondes musulmans et à la poussée chinoise à nos confins et jusqu’au sein même de l’Union, nous devons donc nous doter d’une Défense commune.

Cette perspective n’est plus un tabou dans l’Union mais elle effraie l’Allemagne  qui craint toujours – et c’est tout à son honneur – de redevenir une puissance militaire. Publiquement au moins, les Pays-Baltes et la Pologne se refusent à reconnaître cette réalité de peur que cela ne précipite le retrait des Etats-Unis. Tout en admettant la nécessité d’une Défense commune, nous ne nous hâtons ainsi guère de passer aux actes parce que cela coûtera cher à nos budgets et que, sans même nous l’avouer, nous persistons à croire que la parenthèse Trump refermée, le parapluie américain se rouvrira comme au bon vieux temps.

Eh bien non ! Le « pivot » américain vers l’Asie remonte au second mandat de Georges W. Bush. Elégance d’Obama ou vulgarité de Trump, il ne s’est jamais démenti depuis et Joe Biden ne le mettra certainement pas en question.

Non seulement nous devrons ouvrir nos porte-monnaie mais nous devrons affirmer une politique étrangère commune et nous habituer à devoir défendre seuls nos intérêts. Non seulement l’Union doit accepter de devenir une puissance mais si nous ne le faisions pas, les Etats-Unis n’auraient bientôt plus aucune raison de ne pas laisser se défaire les liens transatlantiques car pourquoi conserver une alliance avec nous si nous ne pouvons rien leur apporter ?

Ce n’est, autrement dit, pas en développant une Défense commune mais en ne le faisant pas que nous distendrons nos liens avec les Etats-Unis. En un mot, c’est uniquement en devenant une puissance politique et militaire que l’Union européenne pourra durablement resserrer son alliance avec l’Amérique.

Alors oui, nous avons encore, nous les Européens, une révolution culturelle à faire mais, tout autant que nous, les Américains ont à revoir leur façon de penser notre alliance.

Ils ne peuvent pas en même temps, s’éloigner de l’Europe et vouloir continuer à la diviser pour y régner. Ils ne peuvent pas attendre de nous que nous financions notre Défense tout en entravant le développement d’une industrie de Défense européenne qui, forcément, viendrait concurrence la leur. Les Etats-Unis ne peuvent pas à la fois nous appeler à nous défendre par nous-mêmes et encourager la Pologne et les Pays-Baltes à freiner le développement d’une Défense européenne. Les Etats-Unis ne peuvent pas vouloir pérenniser l’Alliance atlantique et continuer à rêver de s’entendre avec la Russie par-dessus la tête de l’Union. Ils ne peuvent enfin pas laisser M. Erdogan s’en prendre aux intérêts et à la sécurité de l’Union européenne au motif que la Turquie est membre de l’Otan et que son actuel président ne sera pas éternel.

Si les démocrates américains veulent pouvoir défendre la démocratie avec nous,  ils doivent accepter, entre eux et nous, une répartition de l’influence, des rôles et de la puissance. Si les Etats-Unis veulent que nous soyons à leurs côtés dans leur bras-de-fer avec la Chine, ils doivent enfin se faire à l’idée que l’Europe puisse peser par elle-même. Si nous voulons désormais, unir nos forces pour défendre la démocratie, c’est sans perdre un jour que nous devons faire, l’un vers l’autre, les pas nécessaires à la redéfinition et au renforcement de notre alliance.

Alors oui, la rationalité, la décence et la courtoisie sont de retour à la Maison-Blanche. Les Etats-Unis de Joe Biden vont revenir dans l’Accord de Paris et chercher à ressusciter l’accord nucléaire avec l’Iran. Ils ne vont plus aspirer à briser l’Alliance atlantique et à ouvrir une guerre commerciale avec nous. Nous sortons du cauchemar mais tout, absolument tout, reste à faire.

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