Ce sera l’exode ou le massacre. Ce sera le chaos et la mort dans tous les cas car les dirigeants éthiopiens n’ont pas laissé d’autre choix, dimanche, aux habitants de Mekele, capitale de la province rebelle du Tigré. Ce fut d’abord à l’armée de les avertir qu’ils ne devaient s’attendre à « aucune pitié » s’ils ne « se libéraient pas » des rebelles du TPLF, le Front de libération populaire du Tigré.

L’état-major n’a pas indiqué à ces civils comment faire pour échapper à des guerriers surarmés qui se sont fondus dans leurs rangs et Abiy Ahmed, le Premier ministre, a ensuite enfoncé le clou. Honoré, l’année dernière, d’un Prix Nobel pour avoir conclu la paix avec l’Erythrée, cet homme a donné, lui, « 72 heures » au TPLF pour déposer les armes et se rendre avant qu’ordre ne soit donné à l’armée de lancer l’offensive contre Mekele.

Sauf improbable reddition du Front de libération, les civils n’ont ainsi plus qu’à fuir en masse vers le Soudan limitrophe, pays exsangue qui n’arrive aucunement à subvenir aux besoins des quelques 30 000 Tigréens qui ont déjà trouvé refuge dans ses frontières.

C’est la chronique annoncée d’une tragédie humaine, d’une « catastrophe humanitaire » comme on dit aujourd’hui, mais qui pourrait l’empêcher ?

L’Onu pourrait interposer des casques bleus mais il faudrait pour cela que le Conseil de sécurité le décide alors qu’il est totalement paralysé par l’agonie de la concertation internationale, de ce « multilatéralisme » qu’haïssait Donald Trump.

Première armée au monde, les Etats-Unis auraient, eux, tous les moyens d’empêcher ce drame. Pour leur président sortant, ce serait même la plus belle manière de faire oublier la disgrâce que fut son mandat mais n’y comptons pas. M. Trump se moque du sort des hommes. Seul le sien lui importe et, quel que soit leur président, les Etats-Unis ne veulent de toute façon plus être les gendarmes du monde car cela leur a trop coûté, politiquement et financièrement.

Alors qui ?

La Chine ? Elle n’a même jamais pensé à racheter les ports libanais qu’elle aurait pourtant pu s’adjuger à bon prix et qui lui auraient grand ouvert les portes des marchés proche-orientaux. Non, la Chine ne va pas se mêler d’un conflit qui promet d’être aussi long que complexe mais alors qui, si ce n’est aucun des deux rivaux du siècle ?

La Russie ? Poser la question, c’est y répondre. La Russie, non plus, certainement pas à l’heure où elle ne sait pas plus comment régler la question bélarusse que se sortir politiquement victorieuse de sa victoire militaire en Syrie.

Alors reste l’UE qui n’est tout de même pas totalement désarmée.

France exceptée, les 27 Etats de l’Union européenne ne disposent pas de vraies forces armées mais à plusieurs – quatre ou cinq d’entre eux suffiraient – ils pourraient tout de même se substituer aux Nations-Unies et sauver à la fois l’Ethiopie, l’honneur de l’Europe et sa stabilité.

L’Union pourrait faire plus qu’elle ne le croit elle-même mais il est à craindre qu’elle ne fasse rien parce que très peu de ses capitales ont une vision mondiale, qu’elles ne se sentent guère concernées et qu’il n’y pas d’état-major européen.

Sans que quiconque ne bouge, c’est ainsi qu’une nouvelle guerre de Yougoslavie peut se développer en Afrique.

Avec ses 110 millions d’habitants formant une mosaïque de 80 peuples et 10 régions qui ont toutes leur identité propre, l’Ethiopie en a tout le potentiel, mais en bien pire encore car elle n’est pas entourée d’Etats aussi stables et prospères que ceux qui avaient circonscrit le conflit des Balkans. 

A l’Est, la Somalie et la guerre du Yémen. Au Nord, l’Erythrée et son invraisemblable dictature. A l’Ouest, une succession de pays fragiles ou en guerre. De la Mer rouge à l’Atlantique, les retombées d’une guerre civile éthiopienne peuvent rapidement accélérer la descente aux enfers d’une bande entière du continent africain, offrir un immense champ de manœuvres aux groupes terroristes et précipiter des centaines de milliers de réfugiés dans une fuite désespérée vers l’Europe.

Ce conflit ne menace pas qu’une part entière de l’Afrique. Il nous menace, nous l’Union européenne, tout aussi directement que la guerre de Syrie continue de le faire. Pour nous, le danger est aussi annoncé que la « catastrophe humanitaire » l’est pour l’Afrique mais, faute d’armée commune à mettre dans la balance, faute d’un réveil, faute d’une volonté d’être et d’affirmer l’Union en acteur de la scène internationale, nous restons une puissance impuissante et persistons trop longtemps, bien trop longtemps, dans ce choix suicidaire.

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