Sur ces trois fronts, le problème est le même. Face à la Turquie, à la Grande-Bretagne et au tandem polono-hongrois, dans les plus brûlants des problèmes qu’elle ait à résoudre en ce moment, l’Union européenne doit arbitrer entre le court et le long terme.
A court terme, l’Union ne saurait admettre que les Britanniques continuent à avoir accès au marché unique sans en observer les règles communes. Ce serait encourager le chacun pour soi et les 27 ne peuvent pas non plus poursuivre les négociations d’adhésion avec la Turquie alors que M. Erdogan a empli ses geôles de prisonniers politiques, tourne le dos à une réunification de Chypre et se comporte comme chez lui dans les eaux territoriales de deux des Etats de l’Union.
A ne pas clairement dire que la Turquie n’aurait aujourd’hui plus aucun titre à la rejoindre, l’Union européenne ferait une moquerie de sa dignité, de ses valeurs et de la solidarité entre les pays qui la composent. Là aussi, tout lui commande une absolue fermeté et elle ne peut pas non plus, si peu que ce soit, céder au chantage de la Pologne et de la Hongrie. A ce tandem qui prend en otage le prochain budget commun et les 750 milliards du plan de relance pour tenter de s’affranchir du lien entre la solidarité financière et le respect de l’état de droit, il n’y a qu’une réponse à faire.
Ou bien, faut-il leur dire, vous acceptez comme indissociables les valeurs et les bénéfices de l’Union ou bien nous nous passerons de vous en relançant nos économies à 25, dans le cadre d’une coopération renforcée ou d’un accord entre nos Etats.
Ce ne serait pas simple, chacun le sait.
Ce serait compliqué à mettre en œuvre mais si ardu que cela soit, il faudrait s’y atteler sans hésiter si MM. Orban et Kaczynski nous y obligeaient car il n’y aurait aucune raison de ne pas faire respecter les valeurs politiques de l’Union au motif que ces deux hommes aimeraient s’en passer après y avoir adhéré.
Et puis disons-le, au-delà même des principes, il n’y a qu’avantage à la fermeté.
Après avoir fait l’expérience de son isolement et avoir vu l’Union s’affirmer en acteur politique de la scène internationale, la Grande-Bretagne reviendra frapper à sa porte car, de l’extérieur, elle n’aura pas pu empêcher la naissance de cette nouvelle puissance. M. Erdogan aura, lui, bien du mal à convaincre ses compatriotes qu’il a eu raison, alors que l’économie turque part à vau-l’eau, de se brouiller avec l’Union et l’ensemble de l’Otan. Quant aux dirigeants polonais et hongrois, eh bien qu’ils se mettent en marge de l’Union alors qu’ils ont tant besoin de ses budgets et que leurs opinions sont massivement pro-européennes.
A court terme, tout plaide pour l’intransigeance mais, à long terme, ni la démocratie ni l’Union européenne n’auraient intérêt à laisser s’affaiblir et peut-être même se désunir la Grande-Bretagne, l’une des deux seules puissances militaires européennes avec la France. A long terme, ni la démocratie ni l’Union n’auraient rien à gagner non plus à encore rapprocher la Turquie de la Russie et à l’enraciner dans l’islamisme en marginalisant ses démocrates qui ne pourraient plus plaider l’ancrage européen. Quant à la Hongrie et à la Pologne, il serait absurde de prendre acte de leur éloignement alors que leurs actuels dirigeants s’essoufflent et que des changements politiques s’amorcent dans ces deux pays.
Court et long terme, nous avons à concilier l’inconciliable mais est-ce tellement impossible ? Ne peut-on pas imaginer que totalement ferme sur ses positions, l’Union s’adresse directement aux peuples de ces quatre pays pour leur dire qu’au-delà des tensions du moment, elle souhaite confirmer et développer avec eux les plus chaleureux et les plus étroits des liens possibles et qu’elle se tient prête à le faire dès que cela redeviendra possible ?
Il n’y a nulle impossibilité à cela. Cela ne demanderait aux 27 que de vite apprendre, bien plus vite qu’à présent, à parler d’une seule voix, comme une seule puissance partageant la même vision et les mêmes objectifs. Or cela, il suffirait de le vouloir car vis-à-vis de la Grande-Bretagne et de la Pologne, de la Hongrie et de la Turquie – comme d’ailleurs de la Russie, de la Chine et des Etats-Unis – nous avons les mêmes intérêts et les mêmes ambitions, difficiles mais nécessaires.
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