La question est loin d’être illégitime. Pourquoi substituer, se demandent tant de nos concitoyens, un ensemble inachevé dont les frontières sont mouvantes et les institutions si mal connues à des démocraties nationales maintenant éprouvées ?

La réponse fut longtemps qu’il fallait sortir d’un millénaire de guerres civiles européennes mais comme personne n’imagine plus – à tort mais c’est ainsi – que la guerre puisse renaître en Europe, cette réponse ne convainc plus.

Alors ce n’est plus avec les arguments d’hier qu’il faut répondre à l’euroscepticisme mais avec ceux d’un présent dont les défis sont tout aussi redoutables que ceux du passé.

Au podium des puissances, l’Union trône aujourd’hui aux côtés de la Chine et des Etats-Unis. Entre ces trois champions de la compétition internationale, l’ordre varie suivant les domaines et les années mais la certitude est que le temps joue contre nous, que Washington et Pékin auront tôt fait de nous laisser derrière eux et qu’alliés à des Européens en recul, les Américains pourraient devoir s’incliner devant la Chine.

Ce jour-là, nous ne compterions pas plus qu’une grande Suisse et pourrions devenir encore plus dépendants de la dictature chinoise que de la démocratie américaine.

On peut s’y résigner mais pour tous ceux qui s’y refusent, pour tous les démocrates et tous ceux qui ne veulent pas renoncer au modèle de solidarité et de protection sociales qui, tout autant que sa culture, définit l’Europe, pour l’écrasante majorité, en un mot, des citoyens des 27 pays de l’Union, l’heure est donc à resserrer nos rangs pour consolider et renforcer nos forces.

C’est une évidence mais comment faire alors qu’il sera encore plus difficile d’unifier nos politiques étrangères, nos armées et nos industries qu’il ne l’avait été d’unir nos marchés et nos monnaies ? C’est pour cela qu’une Conférence sur l’avenir de l’Europe s’est ouverte dimanche à Strasbourg mais la montagne accouchera d’une souris, l’échec sera même cuisant, si nous ne nous attachons pas à créer et inventer en commun plutôt que d’essayer de battre des œufs durs en omelette, de faire entrer en un moule unique ce qui existe déjà en 27 modèles.

Il ne s’agit pas de créer des services de santé et des caisses de retraite et de chômage identiques mais d’inventer la protection sociale de ce nouveau salariat que constituent les travailleurs individuels et de mettre en place les moyens de lutter en commun contre l’apparition de nouvelles pandémies. Il ne s’agit pas de nous contenter de mettre nos universités en réseau mais de créer la douzaine de campus européens d’excellence capables de rivaliser avec les plus grandes universités américaines et de créer autour d’elles un tissu de centres de recherches et d’industries nouvelles sans lesquels nous raterons le tournant de l’intelligence artificielle comme nous avons raté la révolution informatique.

Il ne s’agit pas, tâche impossible, de créer une armée européenne à partir de 27 armées nationales mais de créer ensemble les armes du futur, celle des guerres de l’espace, de l’informatique ou de l’information. Il ne s’agit pas seulement de mieux coordonner nos parquets et nos services de police et de renseignements mais de créer des agences communes répondant aux nouvelles formes, toutes internationales, de criminalité, d’espionnage et de subversion. Il ne s’agit pas de réinventer les services publics tels qu’ils ont partout reculé mais de fixer de nouvelles normes communes de présence de la puissance publique dans toutes les régions, quel que soit leur niveau de population.

C’est en créant ensemble que nous irons plus loin, plus vite, nous maintiendrons sur le podium et y affirmerons notre rang, que nous mettrons le mieux en valeur les talents de l’Union et non plus de 27 Etats différents, que nous formerons cette nation qui n’est après tout pas plus dispersée mais aussi unie que l’Allemagne et l’Italie l’étaient il y a si peu de temps, lorsqu’elles n’avaient pas déjà réalisé leur unité.

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