L’essentiel n’est pas ce qu’on croit. L’essentiel n’est pas de savoir quelle coalition finira par se mettre en place derrière quel chancelier mais de voir l’ampleur et la promesse des changements qu’annoncent les seuls résultats des élections de dimanche.
Bien que l’un des deux successeurs possibles de Mme Merkel ait été son ministre des Finances et que l’autre ait été son candidat, il n’y aura d’abord pas continuité politique mais fin d’un long et trop immobile et trop prudent moment de l’histoire allemande. C’est le premier des tournants qui s’amorcent parce que la sortie de scène d’Angela Merkel scelle la fin de la période d’unification des Allemagnes de l’Est et de l’Ouest, qu’Olaf Scholz le social-démocrate ou Armin Laschet le démocrate-chrétien voudront forcément imprimer leur marque en se démarquant des seize années de pouvoir de la chancelière sortante, qu’il faudra maintenant définir les bases d’une coalition à trois avec laquelle arrivera aux commandes la première génération à ne pas avoir vieilli sous la Guerre froide et que tout cela créera un appel d’air dont le paysage politique sortira profondément modifié.
La première puissance économique de l’Union ne sera bientôt plus la même et c’est sur la question de la Défense européenne que l’Allemagne de demain va se différencier le plus de celle d’hier. Les Verts sont partisans d’une Défense commune et d’une affirmation politique de l’Union sur la scène internationale. Les libéraux le sont également et, à bas bruit mais clairement, les candidats de la démocratie chrétienne et de la social-démocratie s’étaient l’un et l’autre prononcés en faveur de cette évolution.
Près de trois quarts de siècle après la défaite nazie, l’Allemagne sort de son après-guerre, découvre les incertitudes du parapluie américain et s’éloigne ainsi de son pacifisme, de sa peur d’elle-même et de son atlantisme intégral. Son regard sur le monde s’est déjà considérablement rapproché de celui de la France et va continuer à le faire. L’Allemagne de l’après-Merkel sera ouverte à des vraies avancées sur la Défense européenne. On le sent d’ores et déjà au Parlement européen et, quelle que soit la prochaine coalition allemande, cela impliquera deux autres évolutions de taille.
Parce que la Défense commune demande le développement d’une politique étrangère, d’une recherche et d’industries d’armements communes, l’Allemagne va également s’ouvrir à l’idée de politiques industrielles européennes et d’affirmation de champions européens dans les branches civiles et militaires. Totalement dépassée par l’émergence technologique de la Chine et devenue paralysante, la conception européenne de la concurrence va, autrement dit, évoluer en même temps que l’Union entrera dans la troisième phase de la construction de son unité – celle de l’union politique, après le marché commun et la monnaie unique.
Cela ne se fera pas en un jour. Il y faudra plusieurs décennies, deux au moins. Il y faudra même des crises d’autant plus périlleuses que les 27 abordent là les domaines régaliens et les enjeux les plus décisifs mais, avec ces élections allemandes, c’est toute l’Europe qui sort de l’après-guerre pour entrer dans un siècle défini par la montée en puissance de la Chine et le recentrage des Etats-Unis sur le Pacifique. Non seulement ce changement de donne allemand est beaucoup plus profond qu’on ne le voit encore mais c’est de ce 26 septembre 2021, de la fin de l’ère Merkel, qu’on datera sans doute l’incertain et si difficile début de l’ère politique de l’Union.
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