Prenons de l’avance. Prenons beaucoup d’avance puisque cette guerre peut encore durer et prendre d’encore plus sinistres tournures mais préparons-nous, dès maintenant, au jour où les armes se tairont car deux précédents nous y obligent.

Le premier est celui du Traité de Versailles, de cette erreur historique majeure qui avait conduit les vainqueurs de la Première guerre mondiale à imposer de telles conditions de paix aux vaincus qu’il n’y eut pas de paix et que le monde en paie toujours le prix. Ce n’est pas seulement que le poids des réparations imposées à l’Allemagne avait largement contribué à l’essor des nationaux-socialistes et donc au déclenchement de la Deuxième guerre mondiale. C’est aussi que le démantèlement sauvage et les amputations que subirent alors les empires ottoman et austro-hongrois se paient jusqu’aujourd’hui dans les troubles ou les nostalgies de leurs anciens territoires.

Le monde, en un mot, aurait été autrement plus stable si les vainqueurs avaient su trouver, à Versailles, l’intelligence qui les a conduit, après la défaite d’Hitler, à enraciner les pays de l’Axe dans la démocratie plutôt que de se venger d’eux. Lorsque M. Poutine aura définitivement perdu la partie, ce jour venu, lorsqu’il n’aura plus le poids d’aujourd’hui, il faudra se souvenir des bienfaits de la main tendue et des méfaits de la vengeance mais ce n’est pas tout.

La seconde erreur à ne pas reproduire est celle qu’ont commise les pays de l’Alliance atlantique après avoir appris, en décembre 1991, que l’Ukraine, la Russie et la Biélorussie enterraient l’Union soviétique en s’en retirant et qu’ils avaient ainsi gagné la Guerre froide. Ils ne l’avaient gagnée que par forfait de l’adversaire mais n’en sortaient pas moins si maîtres du jeu que c’est à eux qu’il aurait dû revenir de proposer les règles et le paysage politiques d’après la bataille.

Tout était à faire. Les conflits territoriaux gelés par l’URSS et la Guerre froide allaient ressurgir du passé. La Russie allait être tentée de les attiser pour réasseoir son influence régionale. Il n’y aurait pas que les Baltes mais bien vite aussi l’Ukraine et la Géorgie pour venir frapper à la porte de l’Alliance atlantique. Si elles n’étaient pas résolues, ces questions mèneraient en bien peu d’années à de nouvelles tensions entre les belligérants d’hier mais personne ne s’est soucié de les prévenir plutôt que d’avoir à en sortir.

« La famille », comme on disait, celle de Eltsine, ne pensait qu’à s’enrichir en privatisant les plus belles ressources de la défunte Union soviétique. Eux-mêmes alors convertis au thatchérisme, les Occidentaux n’en croyaient pas leurs yeux de voir la Mecque du communisme embrasser un capitalisme sans autres règles que celles du plus fort.

Il y eut, de tous côtés, une telle ivresse et un tel aveuglement que c’est dans cette impéritie commune et non pas dans l’élargissement de l’Otan que l’humiliation russe des années 1990 et la guerre d’Ukraine plongent leurs racines. Les Occidentaux n’en sont pas coupables ou pas plus, en tout cas, que les Russes qui avaient tellement préféré Eltsine à Gorbatchev mais, le jour même où cette guerre finira, nous devrons être prêts à jeter les bases du monde d’après.

Nous serions d’autant plus inexcusables de ne pas nous préparer à cette négociation avec la Russie de demain que nous nous mettrions ainsi en situation de ne pouvoir que répéter les erreurs de 1920 ou de 1991 alors même que nous n’avons qu’à actualiser ce qui avait été fait il y a un demi-siècle par les Accords d’Helsinki.

Les frontières des pays européens doivent redevenir intangibles et ne pouvoir être modifiées que par des accords entre les parties intéressées. Le sort des territoires disputés ou annexés doit être fixé par négociations et référendums. L’établissement de mesures de confiance devra répondre aux préoccupations de sécurité des différentes pays. Aucun d’eux ne pourra se voir empêché de rejoindre une alliance militaire mais tout pays se devra de donner à ses voisins toutes les assurances de non-agression et de non-ingérence nécessaires à leur sécurité.

Les pays européens s’obligeront à relancer le processus de réduction du niveau des armements et la stabilité étant ainsi assurée, les négociateurs pourront passer au dossier prospérité en garantissant la transparence et la sécurité des investissements. Tous les pays du continent s’engageront enfin à respecter l’état de droit et les libertés sous l’autorité de dernier recours d’un Conseil de l’Europe aux pouvoirs réellement contraignants.

Ce qui avait été fait au début des années 1970 peut et doit être refait, en mieux encore, au début des années 2020. Ce n’est qu’une question de moment et de volonté politique mais, avec le soutien des Etats-Unis et de l’ensemble du G-7, l’Union européenne devrait aller plus loin.

Tout en aidant plus encore l’Ukraine à repousser l’agression de M. Poutine et en entamant avec elle des négociations d’adhésion, l’Union devrait d’ores et déjà penser à l’après-guerre. Sans attendre, elle devrait pour cela proposer un plan de relance de l’économie russe, un plan Marshall nouvelle manière financé par les matières premières et développé au rythme du progrès des négociations politiques car, avec la Russie, nous n’avons pas qu’à signer une paix.

Nous devons aussi faire d’elle un partenaire avec lequel affirmer, pas à pas, le continent Europe en un pôle de richesse et de paix qui pourrait alors rayonner tout autour de la Méditerranée.

Non seulement il n’y a rien là d’utopique, non seulement le Nord, le Sud et l’Est de la mare nostrum y trouveraient un équilibre commun, mais l’Union ne pourra peser sur le cours de son voisin russe qu’en ouvrant des perspectives, neuves et tangibles, à ses nouvelles classes moyennes urbaines et à cette large partie des forces dirigeantes qui ne voit pas plus d’avenir dans le modèle nord-coréen que dans un tête-à-tête avec la Chine.

Aux Russes, l’Union doit proposer un avenir partagé et l’esquisser dès aujourd’hui afin de leur ouvrir un autre horizon que la longue descente aux enfers dont la défaite de M. Poutine est désormais porteuse.

Print Friendly, PDF & Email

English Deutsch Magyar Polski