Je crains qu’il ne se trompe. Sans doute y a-t-il une présomption à le dire puisque, contrairement à lui, je ne m’entretiens pas régulièrement avec les présidents russe et ukrainien mais je crains qu’Emmanuel Macron ne se trompe lorsqu’il dit et martèle qu’il « ne faut pas humilier la Russie ».
Qu’il n’y ait pas de malentendu. Lorsque viendra le temps de négociations de paix entre Kiev et Moscou, toutes les Démocraties et toutes les personnes de raison devront refuser que ne se répète la tragique erreur qu’avait été le Traité de Versailles. Il ne faudra pas faire avec la Russie ce que les vainqueurs de la Première guerre mondiale avaient fait avec l’Allemagne en la ruinant et l’humiliant si bien que cela l’avait conduite à chercher sa revanche dans une nouvelle guerre.
Une fois l’agression défaite, il faudra bien évidemment veiller à ne pas « humilier » la Russie mais aujourd’hui ?
Peut-on exprimer à l’envi cette mise en garde alors même que la Russie s’humilie elle-même en semant la mort et la désolation en Ukraine, visant écoles et hôpitaux et tolérant ou ordonnant les pires exactions ?
Cela n’a pas de sens. Cela ne peut en tout cas pas être compris par les Ukrainiens qui s’en indignent et protestent. Cela n’est pas non plus admis par les autres pays sortis du bloc soviétique. Cela isole la France y compris des plus anciens Etats membres de l’Union et vient, pire encore, ressusciter le vieux soupçon d’une connivence historique liant Paris à Moscou au détriment de l’Europe centrale.
Sans faire de bien à quiconque, la France ne se fait là que du tort mais est-ce à dire qu’Emmanuel Macron se tromperait aussi à considérer que le rôle de la France serait d’être, en l’occurrence, « une puissance médiatrice » ?
Il a au contraire raison de le penser car la Révolution de 1789, l’empreinte culturelle de la France en Russie, la geste gaullienne et la constante singularité de la diplomatie française dans le camp occidental ont créé dans les milieux dirigeants et le peuple russes un lien particulier avec la France. La Russie perçoit les Français comme des amis de longue date avec lesquels les désaccords n’entament pas la confiance. C’est vrai dans tous les courants politiques et dans toutes les générations et, dans cette crise, cela donne donc à la France une responsabilité propre.
Non seulement elle est la moins mal placée pour maintenir un canal ouvert entre Kiev et Moscou tout en armant les Ukrainiens mais sa culture et son long passé de puissance mondiale lui donnent les moyens d’envisager les conditions de la stabilisation continentale sans laquelle il n’y aura pas de paix durable entre l’Ukraine et la Russie.
C’est de la France que peut venir l’impulsion d’un nouveau lien entre l’Union européenne et la Fédération de Russie. La France peut jouer un rôle majeur en esquissant un rapprochement entre ces deux piliers du continent et permettant le développement d’une nouvelle donne continentale. Ce seul enjeu devrait lui interdire de laisser s’instaurer l’ombre d’une incompréhension de sa politique dans les autres capitales de l’Union mais que peut-elle faire, dans ces conditions, pour ne pas gâcher ses chances de contribuer à la paix ?
Elle doit, d’abord, détendre ses relations avec l’Ukraine en cessant de ressasser la nécessité de ne pas humilier la Russie et se donner ainsi la possibilité de continuer à jouer les bons offices entre Kiev et Moscou.
La France devrait se faire, en deuxième lieu, le plus actif des soutiens de l’Ukraine et plaider pour que lui soit octroyé le statut d’Etat candidat à l’Union européenne afin de pouvoir légitimement œuvrer, le jour venu, aux compromis historiques nécessaires à la pérennité de la paix.
La France devrait enfin s’employer à ce que les 27 proposent publiquement à la Russie, à son peuple comme à ses dirigeants, les grandes lignes de l’accord de sécurité et de coopération qu’ils souhaiteraient signer avec elle le jour où l’agression contre l’Ukraine aura cessé. L’Union nourrirait par-là le débat politique russe. Elle préparerait du même coup l’avenir et marquerait surtout sa volonté de tendre la main à la Russie, de la traiter en incontournable partenaire et certainement pas de l’humilier.