Peut-être va-t-on cesser d’entendre qu’il n’y a pas de changement possible au Kremlin. Tous les russologues du monde ou presque le disent et le martèlent depuis le 24 février mais, face aux victoires remportées par les Ukrainiens, face à la percée vers Donestk que leur permet maintenant la reconquête de Kupiansk et d’Izium, peut-être en viendra-t-on à réaliser qu’approche forcément l’heure des comptes.

Car le fait est que l’exécutif russe n’a plus même assez de capacités de renseignement en Ukraine pour avoir su voir que la contre-offensive sur Kherson n’était faite que pour cacher une opération d’une tout autre ampleur dans le nord-est. Cela signifie que le Kremlin n’a plus d’hommes haut-placés à Kiev et cet effondrement de la présence russe s’est, en l’occurrence, accompagné d’une négligence inouïe sur le terrain puisque aucun plan n’a permis un recul ordonné de troupes prises par surprise. Les soldats ont dû fuir comme ils le pouvaient, certains à vélo. Des tonnes de matériel ont dû être abandonnées alors que l’armée russe doit déjà se fournir en munitions auprès de la Corée du Nord et le plus grave n’est pas l’humiliation.

Le plus grave pour l’exécutif russe est que la défaite va à la défaite aussi sûrement que la victoire va à la victoire. En armes comme en rations alimentaires, l’approvisionnement des soldats russes est désormais encore plus difficile à organiser. Déjà bas, le moral des hommes et leur confiance dans le commandement va s’en ressentir. Cette défaite ne sera pas aisée à surmonter et au deux-centième jour de ce qui s’avère en effet une opération militaire des plus spéciale tant son degré d’amateurisme est élevé, le bilan devient effroyable pour ses commanditaires.

Ce n’est pas seulement qu’ils aient échoué à contrôler l’Ukraine en trois jours comme ils l’avaient espéré. C’est aussi qu’ils ont rapproché les deux rives de l’Atlantique au moment même où les Etats-Unis s’éloignaient d’Europe, qu’ils précipitent la transformation de l’Union européenne en une union politique et militaire, qu’ils ont durablement détourné les pays européens des approvisionnements énergétiques russes, qu’ils ont jeté la Finlande et la Suède dans les bras de l’Otan, ouvert les portes de l’Union européenne à l’Ukraine, semé la ruine et la désolation, coupé la Russie du marché mondial et brisé un lien séculaire entre l’Ukraine et la Russie.

De l’immense Russie, ces hommes ont fait une puissance toujours plus relative dont les citoyens sont aujourd’hui plus fondés que jamais à leur demander ce qu’ils ont fait du pouvoir qu’ils leur avaient confié.

Presse bâillonnée, oppositions décimées et arsenal répressif décuplé, les Russes n’ont aucune possibilité de poser cette si légitime question mais l’abaissement auquel est maintenant confronté leur nation est tel que nécessité pourrait bientôt faire loi.

Parce que la Russie doit sortir de cette guerre et qu’un tournant s’impose, un changement peut aujourd’hui survenir dans six heures, six jours ou six mois. On ne sait pas quand mais il surviendra car ce pays ne peut simplement pas continuer à ne pas réagir alors qu’il s’enfonce jusqu’au nez dans l’échec. Trop de gens et trop de forces dans trop de milieux sociaux et de générations aspireront à refuser ce suicide pour que de nouvelles figures ne viennent pas leur proposer un autre destin. Toute la question est de savoir qui ce sera et quelle direction la Russie prendrait alors.

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