Seul le court terme est clair. Sous peu de semaines et d’ici Pâques au plus tard, l’armée russe devrait tenter d’offrir à Vladimir Poutine le contrôle des régions ukrainiennes dont il avait si prématurément annoncé l’annexion il y a plus de quatre mois déjà. Pour le Kremlin il y a urgence car les chars européens entreront en scène à compter de la fin mars et que plus il en arrivera, plus il sera difficile aux troupes du général Guerassimov d’opérer d’avancées significatives.

Un compte à rebours a commencé mais ensuite ?

Ou bien, première hypothèse, l’offensive russe échoue et une armée ukrainienne galvanisée repousse des troupes russes démoralisées de tout ou partie des territoires qu’elles avaient conquis depuis le 24 février. Vladimir Poutine est alors tellement humilié sur sa scène intérieure et décrédibilisé dans le reste du monde que la question de sa survie politique est posée et que l’armée russe, sous quelque président que ce soit, n’a plus d’autre option que d’investir tous ses moyens dans le verrouillage d’une ligne de démarcation.

Ou bien, seconde hypothèse, l’offensive du général Guerassimov permet une progression des troupes russes assez réelle pour que, Pologne en tête, plusieurs pays européens précipitent les livraisons d’avions de chasse à l’Ukraine. L’intensité des combats augmente. Les Ukrainiens reculent mais les nouveaux moyens de protection anti-aérienne dont ils disposeront avant l’été empêchent les Russes de prendre Kiev et beaucoup plus que le Donbass. Vladimir Poutine a étendu ses conquêtes. Politiquement parlant, il sauve la face mais il n’a fait, en réalité, que déplacer la ligne de front au détriment des Ukrainiens sans les avoir vaincus pour autant. Dans cette seconde hypothèse, c’est l’Ukraine qui verrouille une ligne de démarcation mais, dans l’un comme l’autre cas, c’est un scénario coréen qui s’écrit.

D’un côté, une Ukraine s’intègre progressivement à l’Union européenne sous la protection de l’Alliance atlantique. De l’autre, l’Ukraine annexée par Poutine et quadrillée par ses troupes intègre pleinement la Russie et un fossé économique se creuse entre ces deux Ukraine rapidement aussi dissemblables que les deux Corée.

Au nord-ouest, le dynamisme des jeunes classes moyennes urbaines, les investissements occidentaux et l’appui budgétaire de l’Union à la reconstruction des villes et des industries créent toutes les conditions d’un boom. Au sud-est, l’argent manque, le niveau de formation est moins élevé, les vieilles industries soviétiques et l’agriculture ne suffisent pas à assurer une vraie croissance.

Le contraste est cruel pour Moscou et, au fil des ans, l’Ukraine qu’on dira, bien sûr, « de l’Ouest » va jouer pour l’Ukraine « de l’Est » et, au-delà d’elle, pour toute la Russie ce même rôle de vitrine des démocraties que Berlin-Ouest avait joué pour les pays de l’Europe centrale communiste.  

Un remake de la Guerre froide succède à une guerre de haute intensité mais, contrairement aux secrétaires-généraux des temps communistes, Vladimir Poutine n’incarne pas une direction collégiale au sein de laquelle s’organisaient des successions sans rupture de régime. Epuisement biologique ou politique, cet homme n’est plus destiné à durer très longtemps et en admettant même qu’il ait survécu à l’échec de l’offensive à venir ou profité d’une avancée de ses troupes, son effacement placera la Russie devant un choix historique.

Elle devra alors opter entre une alliance privilégiée avec la Chine et la recherche d’un modus vivendi avec l’Union européenne. Dans le première cas, elle devient purement et simplement vassale d’un pays ascendant et dix fois plus peuplé qu’elle. Dans le second, elle devient le deuxième pilier d’un continent commun stabilisé par des accords de sécurité, la réunification de l’Ukraine et une coopération économique aussi nécessaire et profitable à l’Union européenne qu’à la Fédération de Russie.

Rien n’assure que le Kremlin d’après Poutine sache faire le bon choix mais les démocraties européennes ont deux moyens de l’y inciter. L’un est de contribuer à faire de l’Ukraine occidentale un succès assez indiscutable pour emporter le choix des Russes. L’autre est de mettre dès maintenant sur la table une proposition d’organisation du continent assurant la stabilité et la prospérité de tous ses pays.

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