Beaucoup n’y prêtent guère attention. Beaucoup ne voient là qu’un non-événement puisque Vladimir Poutine n’en sera ni envoyé à La Haye ni même destitué mais, en émettant un mandat d’arrêt contre lui, la Cour pénale internationale a fait date.
C’est du jamais vu car c’est la première fois que le président en exercice d’une aussi grande puissance risque l’arrestation immédiate dans les 123 pays ayant ratifié le statut de la Cour. Ce mandat est, de surcroît, particulièrement infamant parce que Vladimir Poutine est en l’occurrence suspecté d’avoir organisé l’enlèvement et la déportation – le vol, autrement dit – d’au moins 16 000 enfants ukrainiens dont il a facilité l’adoption par des familles russes. Plus grave encore pour le président de la Fédération de Russie, la Cour n’aurait évidemment pas émis ce mandat si elle n’avait pas disposé de preuves solides – celles que Vladimir Poutine a lui-même établies en signant les décrets qui ont permis cette abomination et félicitant publiquement sa cheville ouvrière, Maria Lvova-Belova, elle aussi recherchée par la Cour pénale depuis la semaine dernière.
Pour marquer qu’il restait libre de ses mouvements, le président russe s’est aussitôt rendu en Crimée puis à Marioupol, terres qu’il a annexées et contrôle, mais Karim Khan, le Procureur de la Cour, a fait d’une pierre trois coups. Par le courage et la rapidité avec lesquels il a agi, il a fait de ce nouveau-né qu’était encore la Cour pénale un acteur à part entière de la scène internationale. Maintenant que le chef de l’Etat russe, le président d’un des cinq pays membres permanents du Conseil de sécurité, est menacé d’arrestation et même susceptible – qui sait ? – de finir ses jours en prison, tout dictateur se devra de réfléchir à deux fois avant de faire assassiner ses opposants et aucun chef d’Etat, démocrate ou pas, ne pourra plus s’asseoir sans risque sur la loi, la charte des Nations-Unies et les conventions internationales, contre la torture, les détentions arbitraires ou la discrimination des minorités.
Rien n’en sera changé du jour au lendemain. Le code pénal n’a jamais empêché les assassins d’assassiner et les voleurs de voler mais ce si spectaculaire mandat d’arrêt peut refroidir bien des ardeurs criminelles dans bien des palais présidentiels. Il y a tout lieu de s’en réjouir et cela d’autant plus que Karim Khan vient également de rendre plus difficile la position de celles des trop nombreuses démocraties, Etats-Unis en tête, qui refusent toujours de reconnaître la Cour parce qu’elles craignent de pouvoir, un jour, en être victimes. Contrairement aux 27 Etats de l’Union européenne, ces pays ne veulent pas avoir de comptes à rendre à la Justice internationale mais comment la Maison-Blanche peut-elle saluer ce mandat d’arrêt contre Vladimir Poutine et ne pas accepter de se soumettre à la Cour qui l’a émis ?
C’est une position intenable. Elle doit être dénoncée comme telle par les défenseurs de droits de l’Homme qui ont à faire encore progresser la Justice internationale en amenant toujours plus d’Etats à reconnaître la Cour pénale et ce n’est pas tout. Maintenant que Vladimir Poutine est recherché pour avoir fait enlever des enfants dans le but de se présenter comme leur sauveur et d’en faire des Russes, son agression devient plus odieuse et indéfendable que jamais. C’est, de fait, pour crime contre l’Ukraine que la Cour poursuit le président russe.