Il aurait fallu des caméras, des micros, un réalisateur. Il aurait fallu que la crainte des provocations et manipulations n’empêche pas ces quelque 200 journalistes russes réunis à l’étranger de débattre en plein jour car c’est une autre Russie, la vraie, que le monde aurait alors pu voir.

Tous étaient nés ou arrivés à l’âge adulte après le communisme, sous la pérestroïka ou dans les années Eltsine. Comme tous les Russes de moins de 40 ans, ils avaient grandi dans les débats, la confrontation d’idées, la libre expression et, pour eux, les temps présents n’ont ainsi rien d’une continuité mais tout d’une totale et sinistre nouveauté. Venus de Russie même ou, le plus souvent, des pays où ils ont trouvé refuge et recréé leurs sites, tous auraient pu être Français, Allemands, Italiens ou Polonais. Tous étaient des Européens de la classe moyenne urbaine, de cette génération et du milieu social qui feront la Russie d’après Poutine et dont les portables et ordinateurs n’étaient pas les seuls signes de rupture de leur pays avec le passé soviétique.

Contrairement aux dissidents des années 70, ces opposants connaissent le monde et n’ignorent rien des faiblesses, contradictions et diversités des démocraties. Contrairement aux réformateurs communistes des années 80, ils ne sont pas liés au régime en place qu’ils ne combattent pas de l’intérieur.

Ils sont, en un mot, la victoire posthume de Gorbatchev dont l’audace aura donné naissance à ces démocrates qui avaient su monter, depuis le début du siècle, des entreprises de presse solides et profitables, désormais exilées mais dont le succès se maintient sur les écrans d’un internet sans frontières. Ils sont devenus des hommes et des femmes de l’ombre, beaucoup de femmes, bien trop méconnus des Occidentaux qui n’entendent que le silence d’une Russie bâillonnée. Ce pays, c’est vrai, se tait car la répression y est maintenant folle mais sa résistance se lit au nombre des arrestations, à la lourdeur des condamnations et à la fidélité, surtout, de lecteurs, auditeurs et spectateurs que cette presse libre a conservés.

On dit les Russes favorables à leur président et complices de cette guerre, au mieux indifférents et passifs, au pire formatés par l’absolutisme tsariste puis communiste mais ce rendez-vous d’il y a dix jours disait tout le contraire alors même que cette nouvelle diaspora ne connaîtra pas le sort de l’émigration des années 20. Ceux qui étaient partis il y a un siècle n’avaient jamais revu leur patrie mais, contrairement au communisme, le poutinisme ne durera pas car il ne porte aucune de ces fausses promesses qui avaient su séduire des centaines de millions de personnes de par le monde.

Simple agrégat du meurtre et du pillage, ce régime n’est qu’un moment des chaos qui suivent toute révolution, qu’une atroce virgule de l’Histoire dont la Russie sortira bientôt parce qu’aucun homme n’est immortel et que celui-là a précipité sa fin en précipitant son pays dans une aventure sans issue.

Comme la France s’était reconstruite, après-guerre, grâce à ses journaux et au programme de la Résistance, la Russie a aujourd’hui besoin de cette presse libre pour organiser le débat sur les politiques qu’elle devra mener et les institutions dont il lui faudra se doter à l’heure de la liberté. Cette presse, les partis et les Etats des 27 doivent l’aider plus qu’ils ne le font car c’est dans ses colonnes que se joue la possibilité de stabiliser notre continent grâce à la coopération de l’Union européenne et de la Russie post-poutinienne. Comme une poignée de gaullistes étaient la France en 1940, ces 200 sont la Russie de demain.

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