Tout va mal. Si, si, tendez l’oreille, lisez les journaux, entendez les voix les plus autorisées, et tout est perdu, fichu, vous dis-je, puisque la prochaine présidentielle française serait pour Mme Le Pen ; que les Pays-Bas seraient devenus ingouvernables depuis leur invention du populisme anti-verts ; que la misère gagnerait l’Europe jusqu’à Berlin ; qu’une « fatigue ukrainienne » menacerait l’Europe tout autant que les Etats-Unis et que l’Union viendrait de se montrer plus consternante que jamais en ne volant pas au secours des Arméniens.

Vous, je ne sais pas mais moi, cette rengaine je ne la supporte plus car plutôt que de se lamenter jour et nuit, ces pleurnicheurs des 27 Etats membres pourraient accepter de voir qu’il n’y a pas un endroit au monde où l’on vive mieux et plus librement que dans l’Union européenne et que nous venons de nous affirmer en puissance politique en achetant nos vaccins et empruntant en commun, armant l’Ukraine et trouvant sans délai des substituts au gaz et au pétrole russe.

L’Union existe. L’Union progresse et se muscle alors même que ses traités ne visaient qu’à en faire une puissance de commerce et de droit mais comme ces faits ne semblent être retenus par à peu près personne, que dire et que faire ?

C’est simple : lâchez prise.

N’essayez plus de demander si l’Union européenne aurait vraiment dû bombarder l’Azerbaïdjan ou quelles sont, concrètement parlant, même en Pologne, les conséquences de cette « fatigue ukrainienne ». N’objectez plus rien puisque l’Union est par définition coupable. Joignez-vous au chœur des désabusés et de son sein même, à haute voix, lancez : « Et qu’allons-nous devenir entre la Chine et les Etats-Unis, pris en sandwich entre les deux superpuissances de ce siècle » ?

Cela vaut une cuillère de potion magique. Les rangs européens se resserrent d’un coup car personne n’a envie d’être dominé par la Chine et personne n’aspire non plus à une suzeraineté américaine sur l’Europe. Le centre-gauche, le centre-droit et les pays d’Europe centrale eux-mêmes n’en veulent plus car Trump a brisé la confiance dans le parapluie américain. L’extrême-gauche et l’extrême-droite n’en ont jamais voulu car les Etats-Unis sont l’impérialisme pour la première et l’amoralité libertarienne pour la seconde. Soudain, dans toutes les discussions publiques ou privées, une unanimité se fait contre l’effacement de nos pays et c’est loin du « tout va mal, tout est perdu » que le débat peut s’ouvrir, tous azimuts.

Au centre, à gauche, à droite, vous voulez lutter contre les migrations anarchiques en contribuant au développement industriel de l’Afrique ? Très bien, faisons-en une cause commune, mais si l’Union européenne doit devenir un interlocuteur crédible de l’Union africaine et de ses capitales, n’est-il pas temps de cesser de nous autoflageller et de nous accuser en permanence d’impéritie, mensonges et lâcheté ?

Vous voulez, vous l’extrême-droite, nous protéger d’un « grand remplacement » en déployant une flotte européenne ? C’est une approche à discuter mais cette flotte européenne ne demanderait-elle pas, en tout état de cause, une Défense européenne qui demande elle-même une politique étrangère et des budgets communs, une Europe politique en un mot ?

Tous, de l’extrême-gauche à l’extrême-droite, nous voulons aider et protéger les Arméniens. Parfait mais ne faudrait-il alors pas commencer par réaliser que, grâce à nos efforts communs, le pétrole de Bakou ne nous est désormais plus indispensable et que nous pourrions amener l’Azerbaïdjan à pleinement respecter les droits de sa minorité arménienne parce qu’il a, lui, besoin de nos devises?

L’élargissement de l’Union à l’Ukraine et sept autres pays sera très évidemment complexe ? Nous le savons tous et nous serions bien passé d’un tel défi mais si nous voulons opposer un front continental à M. Poutine et ne pas nous laisser marginaliser puis effacer par Washington et Beijing, pouvons-nous ne pas le relever ? Et dès lors que nous le relèverons ne pourrait-on pas arrêter de faire comme si l’Union à 35 devait être un calque de l’Union à 27 alors que l’Union européenne de demain connaîtra des degrés d’intégration différents, du seul marché commun à la complète unité politique ?

Si vous ne voulez pas l’entendre, une cuillère de potion magique s’impose, à l’instant même, car ce n’est pas des difficultés de la route mais de l’objectif à atteindre que tout débat doit partir.

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