Avec deux mondes face-à-face, cela ressemble à la Guerre froide mais c’est bien plus inquiétant qu’elle ne le fut. D’un côté l’Europe, les Etats-Unis, la Nouvelle-Zélande, l’Australie, la Corée du Sud et le Japon, d’un côté les Démocraties et de l’autre la Chine, la Russie et des pans entiers de l’Asie, de l’Afrique et de l’Amérique latine – toute cette partie du monde (le « Sud global », dit-on si faussement) qui voit le temps venu de prendre une revanche historique en précipitant la fin de cinq siècles d’hégémonie occidentale.

Cette frontière, la guerre d’Ukraine l’a dessinée et le drame que le Hamas a ouvert avec la tuerie du 7 octobre en a aussitôt confirmé le tracé. Ceux qui ne veulent pas que la Russie soit défaite en Ukraine car ils craignent d’y perdre un partenaire de poids ne veulent pas non plus que le Hamas soit brisé car ce serait indirectement une victoire des Occidentaux sur l’Iran, les mondes arabes et la Russie.

Deux camps sont bel et bien aux prises mais la grande différence avec l’affrontement Est-Ouest est qu’il n’est plus question d’idéologie mais de rivalités de puissances et qu’aucune des deux parties n’a plus de champion car il n’y a plus de maîtres du jeu, pas plus incontestables qu’incontestés. Le capitalisme a partout triomphé. Il est l’idéologie dominante et il faut désormais parler de convergences politiques et non pas de blocs puisque les Etats-Unis ne prétendent plus à gouverner le monde et pas même leurs alliés ; que deux des « Brics », l’Inde et la Chine, sont à l’Asie ce que la France et l’Allemagne furent à l’Europe ; que l’alliance entre Moscou et Pékin déguise une séculaire défiance et que l’Europe ayant perdu foi en la protection américaine veut s’affirmer en puissance autonome.

Ce siècle nait dans le double chaos produit par la fin simultanée de la Guerre froide et de la suprématie occidentale. Il n’y a plus d’ordre international, plus de règles universellement admises, plus même de rapports de force évidents et plus non plus d’équilibre de la terreur tant les puissances veulent retrouver ou conserver leur rayonnement et tant la prolifération nucléaire porte à l’impensable.

Alors que faire ?

Beaucoup en viennent à penser que le train serait parti, que M. Poutine va se croire les mains libres en Ukraine et M. Xi à Taiwan, qu’il n’y aurait, autrement dit, plus rien à tenter pour empêcher que l’épidémie de conflits ne devienne pandémie mais il y a pourtant, si, deux choses à faire.

La première est de démentir la rengaine du « deux poids, deux mesures » en mobilisant les Etats-Unis, l’Union européenne et les pays arabes pour rasseoir Palestiniens et Israéliens à la table des négociations et les contraindre aux compromis nécessaires à la paix. Vœu pieux tant que le canon tonne, dira-t-on, mais non, pas du tout, puisqu’il n’y a pas d’autre solution à cette guerre que les deux Etats, qu’il faut ressemer dès maintenant les graines du dialogue car il leur faut le temps de pousser et éclore et que c’est sans attendre qu’Américains et Européens doivent exercer une pression sur ces deux peuples en mettant dans la balance les aides qu’ils leur apportent.

Le jour où les Occidentaux se joindront aux capitales arabes pour imposer une paix juste et pérenne, la frontière entre les deux mondes deviendra autrement moins durable et inquiétante qu’aujourd’hui et la deuxième chose à faire est de décupler le soutien à l’Ukraine.

C’est un impératif parce qu’il ne faut pas que les nostalgies impériales d’un dictateur puisse l’emporter sur la mobilisation des démocraties, le respect du droit international et le principe de l’intégrité territoriale des Etats. Dans cette nouvelle division du monde, de très vieux comptes sont à régler. Certains ne relèvent que de la rancune. D’autres exigent de profonds changements. Il sera notamment nécessaire de rompre avec les déséquilibres d’une gouvernance mondiale désormais déconnectée des réalités mais il n’est pas envisageable d’enraciner un nouvel ordre international dans une victoire de l’obscurantisme sur les Lumières, de l’arbitraire sur le Droit et de la tyrannie sur la liberté.

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