La bataille de Stalingrad avait fait deux millions de victimes. Était-ce pour autant un génocide ? Evidemment pas puisqu’un génocide est l’élimination délibérée d’un groupe national, ethnique ou religieux, d’un peuple entier, et non pas un bain de sang plus atroce ou d’une plus grande ampleur que d’autres. Il y eut ainsi trois génocides au XX° siècle, ceux des Arméniens, des Juifs et des Tutsis, avec lesquels ne se comparent ni les tueries du 7 octobre ni le bombardement et le siège de Gaza.

Cette différence, même des « experts » de l’Onu ne la font pourtant plus tant ces déchirements de la Terre qu’on dit « sainte » et l’agression russe contre l’Ukraine suscitent de passions et de fureur. La peur est si générale qu’on ne s’entend plus et nomme si mal les choses qu’on « ajoute, pour citer Camus, au malheur du monde ».

Les mots peuvent clarifier une situation ou l’embrouiller, attiser la haine ou la contenir, enfermer des peuples dans une guerre sans fin ou contribuer à leur faire accepter l’idée d’un compromis. Les mots ont un poids et une dynamique propres et une fois que celui de « génocide » a été prononcé, allez essayer de parler de paix.

« Mais la haine ? », vous rétorque-t-on et si vous rappelez alors qu’elle s’estompait et allait disparaître lorsque Palestiniens et Israéliens croyaient à la paix, il y a trente ans, et qu’il suffirait que renaisse cet espoir pour qu’elle recule à nouveau, les regards vous disent que les rêves sont sympathiques mais que la réalité ne l’est pas.

Elle ne l’est en rien, c’est vrai, mais c’est pourtant bien le réalisme qui commande de relancer l’idée d’une paix fondée sur la coexistence de deux Etats car si ce n’est pas cela, ce sera quoi ? Ce serait une guerre de cent ans ou un Etat binational dont personne ne veut et en comparaison duquel le Liban serait la Suisse. C’est si vrai que la solution des deux Etats refait aujourd’hui surface, que Washington y pousse, que l’Union européenne l’appelle de ses vœux et que les dirigeants arabes y aspirent à peu près tous, discrètement mais profondément. On ne peut pas le nier. C’est un fait, mais « ça ne peut pas marcher », vous dit-on aussitôt, puisque la droite israélienne ne veut pas d’un Etat palestinien, que le Hamas ne veut que détruire Israël, que la gauche israélienne est défaite, que l’Autorité palestinienne est à bout de force et qu’il n’y a donc, un enfant le comprendrait « personne pour négocier ».

Ah bon ? Vraiment ? Parce qu’en politique, il y a des situations figées pour l’éternité ? Parce que la droite israélienne devrait obligatoirement se survivre après une telle faillite ? Parce que l’agonie de l’Autorité palestinienne serait sans fin et que le Hamas incarnerait la Palestine ? Parce que la gauche israélienne ne pourrait pas revenir aux commandes plus tôt qu’on ne l’imagine ? Parce que ce séisme ne va pas totalement modifier la donne, comme après la guerre du Kippour ?

La seule certitude est que rien ne changera si personne ne tente quoi que ce soit mais si les Etats-Unis et l’Union européenne se décidaient à retravailler à la paix, à lui redonner une crédibilité et à laisser comprendre qu’à défaut de négociations et d’un accord, elles suspendraient leurs aides aux Israéliens comme aux Palestiniens ?

Ce jour-là, tout redeviendra possible car Palestiniens et Israéliens sont trop épuisés pour souhaiter que la guerre se poursuive mais à ce point du débat, le chœur des décidés à ne rien faire entonne l’air du « c’est trop tard ». On le connaît depuis longtemps cet air qui enterre la solution à deux Etats en sanglotant qu’on ne pourrait même plus y penser tant les colonies israéliennes se sont développées dans les Territoires occupés.

La Cisjordanie, comme on dit, est « mitée » mais combien de colons s’y sont-ils maintenant installés ?

On en compte quelque 500 000, autrement dit beaucoup mais quatre fois moins que de Palestiniens vivant en Israël et citoyens israéliens. Dès lors qu’il y aurait deux Etats et que des Juifs pourraient vivre en Palestine avec les mêmes droits et la même sécurité que les Arabes israéliens en Israël, pourquoi faudrait-il obligatoirement envisager l’évacuation forcée des colons ? Ceux qui souhaiteraient partir partiront. Ceux qui souhaiteraient rester le pourront, comme résidents étrangers ou citoyens palestiniens.

« Absurde », « inenvisageable », « impossible », dira-t-on. Oui, absolument, ça le serait aujourd’hui mais lorsqu’on cessera d’ajouter au malheur du monde en qualifiant de « génocide » d’immondes tueries et d’odieuses représailles, on réalisera que la seule chose impossible est le statu quo et que la paix n’interdit rien.

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