On l’a à peine entendu. De l’Ukraine au Proche-Orient, la dégradation de la situation internationale est telle qu’on n’a pratiquement pas remarqué que les 27 avaient amorcé, la semaine dernière, une unification de l’ensemble de l’Europe, du continent européen.

Alors, bien sûr, on n’y est évidemment pas. La Russie, ce n’est pas pour demain, ni même après-demain et la Turquie non plus. Les pays des Balkans occidentaux resteront encore dans l’antichambre pour plusieurs années. Rien ne se fera en un jour mais l’avis favorable que la Commission vient de donner à l’octroi du statut de candidat à la Géorgie et à l’ouverture de négociations d’adhésion avec l’Ukraine, la Bosnie-Herzégovine et la Moldavie sera sans nul doute approuvé mi-décembre par les chefs d’Etat et de gouvernements car le monde a changé.

De même que l’Union s’était ouverte à l’Europe centrale parce que le bloc soviétique s’était défait, elle tend aujourd’hui la main à cette dizaine de nouveaux pays non seulement parce que la Russie a porté la guerre en Ukraine mais également, avant tout, car nous avons à relever, nous les Européens le double défi de la Chine et des Etats-Unis.

Que les deux superpuissances de ce siècle en viennent à s’affronter ou trouvent la voie d’une coexistence, elles nous menacent d’un effacement durable, Dans un cas comme dans l’autre, qu’elles précipitent un conflit mondial ou jettent les bases d’un condominium, elles sont aujourd’hui parties pour nous asseoir à la table des enfants et faire de nous le musée de notre grandeur passée.

L’Union peut s’y résigner et l’accepter. Vladimir Poutine peut, quant à lui, choisir de vassaliser son pays à la Chine en poursuivant ses rêves impériaux mais si nous voulons compter, exister, défendre nos libertés et notre protection sociale, décider par et pour nous-mêmes, nous devons tout à la fois serrer nos rangs et les élargir.

Nous l’avons fait d’instinct. Nous avons accordé le statut de pays candidat à l’Ukraine car en ne le faisant pas, nous aurions reconnu le droit de la Russie à reconquérir son empire perdu et nous avons alors vu plus large, au-delà de Kiev et de l’Europe. Nous avons vu Donald Trump et ses épigones tentés de s’entendre avec la Russie par-dessus notre tête. Nous avons lu les sondages leur donnant des chances de revenir à la Maison-Blanche. Nous avons entendu les Balkans se demander s’ils devraient, comme la Serbie, sourire à Vladimir Poutine pour que nous leur ouvrions la porte. Nous avons réalisé que la Chine, la Russie et la Turquie profitaient de notre hésitation à nous élargir pour tenter de prendre ou reprendre pied à nos marches. Nous avons compris en un mot que nous devions choisir entre être ou ne pas être et avons opté pour un élargissement qui préfigure une unification continentale.

C’est ce refus de l’abdication face à la Chine et aux Etats-Unis que nous aurons à plaider durant la campagne des européennes mais si la noblesse de l’ambition et sa nécessité ne seront pas difficiles à faire admettre, l’élargissement n’en fera pas moins peur.

L’élargissement inquiète nombre d’électeurs européens parce qu’ils ne connaissent pas ou mal ces pays mais savent, en revanche, que leurs économies ne sont pas au niveau des nôtres et que nos instituions ne pourraient plus fonctionner avec tant de nouveaux Etats membres.

Ils ont raison. C’est vrai. Les difficultés de l’élargissement à venir sont redoutables mais elles le sont tellement qu’il ne pourrait pas s’agir et ne s’agira pas d’ouvrir l’Union telle qu’elle est aujourd’hui. Même avec de très profondes réformes, même avec l’abandon de la règle de l’unanimité et le passage à la majorité qualifiée dans tous les domaines, l’Union à 27 ne peut pas être l’Union à 35 et plus.

L’Union de demain comprendra des niveaux d’intégration différents, plusieurs étages ou « formats » comme le dit Emmanuel Macron. L’ensemble s’appellera « l’Union européenne » mais, au premier étage, on trouvera des pays unis dans un marché commun régi par des règles communes et le respect de l’Etat de droit ; le deuxième étage réunira les pays acceptant la monnaie unique et le degré d’intégration de l’Union d’aujourd’hui et, au troisième, se retrouveront ceux des Etats membres qui auront décidé d’harmoniser leurs fiscalités et de mettre en commun leur Défense et leur politique étrangère.

On n’appartiendra pas à ces formats pour l’éternité. On pourra au contraire passer de l’un à l’autre en fonction de critères établis et, en attendant que nous réuniossions trois Europe en une, l’unité européenne devra se cimenter dans d’étroites coopérations industrielles, économiques et politiques entre l’actuelle Union et les pays candidats. Ce n’est pas un élargissement qu’entreprend l’Union. C’est une révolution.

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