Trois mots ont suffi. En lançant que « rien n’était exclu » pour empêcher Poutine de l’emporter en Ukraine, Emmanuel Macron a su faire entendre que nous étions bel et bien en guerre puisque l’autocrate russe nous l’avait déclarée, qu’une défaite de l’Ukraine mettrait toute l’Union en danger, que nous pourrions avoir à nous battre sans les Etats-Unis si Trump était élu en novembre et que le seul moyen de ne pas avoir à envoyer un jour nos enfants sur un champ de bataille était d’immédiatement fournir assez d’armes aux Ukrainiens pour repousser l’agression.

Sur les plateaux de télévision comme au resto du coin, on ne parle plus que de cela. Les uns approuvent, d’autres s’indignent, mais un même débat politique, passionné, furieux, fait de l’Union une seule et même scène politique sur laquelle reviennent sans cesse trois questions principales.

La première est de savoir si les Pays baltes, la Finlande, la Pologne, l’Allemagne et la France au bout du compte seraient vraiment menacés dans l’éventualité d’une défaite de l’Ukraine. « Cette seule hypothèse est absurde, s’insurgent bien des gens, puisque Poutine n’aurait pas les moyens économiques et militaires de telles ambitions et que tous ces pays sont de toute manière membres de l’Alliance atlantique et donc sous protection nucléaire des Etats-Unis ».

Oui. Les deux choses sont vraies sauf…

Sauf que si Vladimir Poutine parvenait à contrôler l’Ukraine, cette démonstration de force le renforcerait en Russie même ; impressionnerait et fracturerait sans doute plus d’un pays européen et lui donnerait, en Afrique, en Asie et en Amérique latine, un prestige d’adversaire de la primauté occidentale. Le contournement des sanctions s’amplifierait tandis que se multiplieraient les appels à leur levée. Ce régime gagnerait là les années nécessaires à la remise en état de son économie et à la constitution des stocks d’armes indispensables à de nouvelles batailles et le président russe pourrait alors s’attaquer à d’autres pays.

Il le pourrait car le parapluie américain a d’ores et déjà été décrédibilisé par les attaques de Donald Trump contre les Européens et la priorité que l’ensemble des Etats-Unis, Démocrates compris, donnent désormais à leur bras de fer avec la Chine. Vladimir Poutine pourrait aller ainsi tester les réactions américaines aux frontières baltes ou finlandaise et l’absence de vraies réactions des Etats-Unis à ses provocations créerait une situation nouvelle.

La Russie accentuerait sa pression en saisissant, par exemple, des territoires estoniens russophones et proposerait ensuite des négociations menant à un « équilibre européen » excluant les Etats-Unis et introduisant un contrôle des armements qui consacrerait une supériorité de la Russie sur l’Union européenne. Vladimir Poutine n’aurait dès lors plus même besoin de nouvelles annexions pour dominer le continent Europe en lui imposant la semi-liberté qui était celle de la Finlande durant la Guerre froide.

C’est maintenant qu’il faut arrêter cet homme, tant qu’il en est encore temps, et se pose ainsi la deuxième question agitant désormais la scène politique européenne : en avons-nous les moyens ?

« Non, répondent tous ceux qui appellent à négocier immédiatement un partage de l’Ukraine avec le Kremlin. Nous n’avons pas, disent-ils, de Défense européenne et, malgré ses armées et sa dissuasion nucléaire, la France ne peut pas protéger à elle seule les 26 autres Etats de l’Union ». Là encore les deux choses sont vraies, sauf…

Sauf que l’Union jette enfin les bases d’une Défense commune en achetant des munitions en commun et relançant ses chaînes de production, que l’économie russe est profondément fragilisée et qu’un ordre de mobilisation générale susciterait de sérieux mécontentements politiques. Mascarade électorale ou pas, Vladimir Poutine n’a absolument rien aujourd’hui d’invincible. Il est au contraire parfaitement résistible à la seule condition que nous le voulions, nous les Européens.

Tant qu’il en est encore temps, c’est maintenant qu’il faut arrêter cet homme, et se pose ainsi la troisième question agitant désormais la scène européenne : le voulons-nous vraiment et sommes-nous vraiment unanimes à le vouloir ?

A l’exception de Viktor Orban et encore plus accessoirement de la Slovaquie, la réponse est oui, absolument. Toutes nos capitales et la presque totalité du Parlement européen sont aujourd’hui convaincues de la nécessité d’infliger un coup d’arrêt aux visées impériales de Vladimir Poutine et à la déstabilisation internationale dont elles sont porteuses. L’argent se débloque. L’idée monte d’un emprunt européen de quelque cent milliards d’euros. L’Ukraine disposera très bientôt d’une flotte aérienne susceptible de changer la donne. Si cruellement manquantes, les munitions arrivent, bien tard mais arrivent. L’Ukraine risque d’essuyer de cruels revers dans les mois à venir mais l’Ukraine n’est pas vaincue.

L’Ukraine pourra bientôt redresser la barre et les désaccords entre Européens sur la livraison par l’Allemagne de missiles à longue portée ne sauraient masquer une réalité autrement plus importante. Dans cette bataille, une nouvelle Union se cherche et s’affirme à si grands pas que l’année 2024 pourrait bien devenir celle de la naissance de l’Europe politique.

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