Et maintenant la Hongrie. Dans ce pays supposé si bien tenu par son inamovible Premier ministre, même dans cet Etat où la démocrature s’est si largement inventée, un homme en rupture avec le régime Orbán parait annoncer la renaissance d’une vie politique. Hier inconnu, Péter Magyar prenait, samedi, la tête d’une impressionnante manifestation à Budapest, dénonçait la corruption du pouvoir et annonçait qu’il présenterait une liste aux élections européennes de juin prochain. Or ce changement de donne frappe d’autant plus que c’est exactement ce qui s’était passé huit jours plus tôt en Turquie.

Là-bas non plus, personne n’aurait parié sur la défaite de Recep Erdoğan que les élections municipales ont pourtant privé des plus grandes villes du pays et même de bastions anatoliens de son parti Justice et Développement. Coup sur coup, les deux plus emblématiques des régimes illibéraux d’Europe se trouvent soudainement fragilisés après que des démocrates sont revenus aux commandes en Pologne à l’automne dernier et tandis qu’agonise, en Grande-Bretagne, une autre droite identitaire, celle du Brexit.

Alors même que les sondages les donnent en grande progression dans tant des Etats de l’Union, les extrêmes-droites nationalistes se trouvent ainsi gravement essoufflées dans quatre des capitales européennes où elles avaient longtemps bénéficié d’un monopole politique. C’est un complet paradoxe mais il n’est qu’apparent car ces forces, premier constat, ne sont nullement immunisées contre l’usure du pouvoir qui les aura finalement plus vite frappées que les gauches, les centre et les droites libérales auxquelles elles avaient succédé. Quelque six décennies après la défaite de l’Axe, les droites extrêmes ont opéré leur retour mais sans que cela ne sonne la fin de l’alternance. L’Histoire ne se répète pas car si ces forces bafouent toutes les règles démocratiques, elles n’ont jamais osé aller jusqu’à s’affranchir des élections qui peuvent toujours – on le voit – les renvoyer dans l’opposition.

Aussi détestables qu’elles soient, les démocratures ne sont pas de simples dictatures. Orbán n’est pas Poutine. Erdoğan ne l’est pas non plus et la deuxième conclusion à tirer de cette fragilisation des courants identitaires est qu’il n’y pas d’incompatibilité entre islam et démocratie. La dérive turque l’avait beaucoup fait dire mais non, la preuve vient d’en être faite à Istanbul, un peuple musulman peut bien évidemment aspirer à la sanction d’une impéritie économique et au respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

La troisième conclusion à tirer de cette séquence politique – on le voit en Hongrie après l’avoir vu en Pologne – est que des peuples peuvent rejeter le libéralisme sans pour autant rejeter la liberté. En Europe centrale, la brutalité avec laquelle des partis libéraux inspirés du thatchérisme avaient conduit le passage de l’économie dirigée à l’économie de marché a trop longtemps donné l’avantage à des forces réactionnaires, hostiles aux Lumières et au libéralisme politique. Cela n’avait rien d’étonnant mais ne pouvait pas non plus être éternel pour deux raisons. La première est que les « thérapies de choc » des années 90 appartiennent désormais à l’Histoire et la seconde est que les générations centre-européennes venues à l’âge adulte en ce nouveau siècle sont toujours plus semblables à celles du reste de l’Union et préfèrent la pleine liberté aux demi-dictatures.

La quatrième conclusion qu’imposent ces quatre moments politiques est que ce n’est pas la démagogie souverainiste qui assure la force d’un pays et la prééminence d’un courant politique. Le PiS polonais aura été le premier à l’éprouver. Viktor Orbán ferait bien d’y prendre garde aujourd’hui et l’Histoire retiendra que les Brexiters ont fait reculer comme jamais l’influence de la Grande-Bretagne et son économie.

Quant à la cinquième conclusion à tirer de ce recul des droites identitaires elle est que la liberté, ces libertés fondamentales dont l’Union européenne est la place-forte, est bel et bien une valeur universelle que tous les hommes partagent et chérissent.

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