C’est décidément la plus fausse des idées. « Les deux Europe », dit-on tout naturellement avec l’absolue conviction que l’une, au cœur du continent et anciennement communiste, serait national-conservatrice, historiquement réactionnaire et en tous points opposée à l’autre, celle de l’Ouest et des vieilles démocraties, dont l’ADN serait libéral.
On croit tellement qu’il en est ainsi et le sera pour toujours qu’on voit là un problème insoluble pour l’Union européenne sauf…
Sauf que dimanche, au soir du premier tour de la présidentielle polonaise, les sondages comme les reports de voix prévus dessinaient deux blocs d’importance si comparable qu’il était impossible de dire qui sera élu le 12 juillet, d’Andrzej Duda, le président sortant soutenu par les nationaux-conservateurs du parti Droit et Justice, le PiS, ou de Rafal Trzaskowski, le jeune maire de Varsovie, Macron de l’Europe centrale, polyglotte et passé par le Parlement européen.
Non seulement il y a deux Pologne, l’une cléricale, rurale et passablement surannée, l’autre urbaine et en rupture de foi, écolo, féministe et nullement effrayée par l’évolution des mœurs, mais le bloc conservateur n’est pas idéologiquement uni. Comme toutes les droites européennes, il comporte sa droite de la droite, son centre droit et, à l’extérieur du PiS, son extrême-droite aussi, la Confédération, eurosceptique et nationale-libérale, dont les électeurs pourraient bien faire la différence dans quinze jours.
Cette photo ne ressemble guère au cliché sur « l’autre Europe » comme on disait déjà aux temps communistes. Loin d’être figée dans la naphtaline, la Pologne est un pays en mouvement où une droite nationaliste et sociale avait très logiquement pris le relais des centristes pro-européens qui avaient assuré un brutal passage à l’économie de marché et qui reviennent aujourd’hui sur le devant de la scène, menés par de nouvelles et jeunes figures qui n’ont pas plus connu le communisme que la violence sociale du retour au capitalisme.
C’est l’alternance qui est à l’œuvre en Pologne et quel que soit le résultat du 12 juillet, force est de constater que le PiS est malmené par l’autonomisation de ses alliés du centre-droit, l’affirmation d’une extrême-droite, la perte du Sénat en octobre dernier et la montée maintenant de Rafal Trzaskowski qui modernise et pousse à gauche la Plateforme civique, le grand parti libéral dont il est issu.
Alors, essuyez vos cadrans, remettez vos montres à l’heure, il y a bien deux Europe mais l’une s’appelle l’Union européenne et l’autre, la Fédération de Russie et il n’y a, au sein de l’Union, qu’une seule Europe dont les échiquiers politiques tendent à se confondre toujours plus.
Car enfin, cette droite polonaise qui va devoir, gagnante ou perdante, se trouver entre son centre et ses droites et, donc, se redéfinir avant de se laisser écarteler, est-elle vraiment polonaise ? Non, elle est européenne puisque ses dilemmes rappellent tant ceux des droites française, allemande, espagnole ou encore italienne. Et ces nouveaux libéraux polonais qu’a fait tant progresser Rafal Trzaskowski, sont-ils si spécifiquement polonais ?
A part l’imprononçable nom de leur chef de file, ils ne le sont guère car, entre social-libéralisme, écologie et social-démocratie ils ont encore à définir un positionnement clair, exactement comme ont à le faire les Travaillistes britanniques de l’après-Corbyn, Emmanuel Macron, les entrelacs de la gauche et de la démocratie-chrétienne italiennes ou ces oppositions hongroises unies qui ont remporté, en octobre dernier, les dix plus grandes villes du pays mais ont encore à se trouver une autre étiquette que celle de « démocrate anti-Orban ».
Qu’on dise « droite » et « gauche » ou parle, plus précisément, de partis « de l’ordre » et de partis « du mouvement », ce sont toutes les frontières, sociologiques et idéologiques, des familles culturelles européennes qui sont à redéfinir, y compris celles des nouvelles extrêmes-droites qui ne sont pas les moins diverses et en gestation. Dimanche, la Pologne est pour la deuxième fois rentrée en Europe.