Il faut remonter à l’après-guerre. Pour comprendre les raisons qui ont conduit  Emmanuel Macron à choisir comme nouveau Premier ministre un haut-fonctionnaire, Jean Castex, n’ayant jamais eu de rôle politique, il faut admettre que la France et toute l’Union européenne sont dans la même situation qu’en 1945.

Nous ne sortons évidemment pas des mêmes abîmes d’horreurs et de destructions mais, en arrêtant la production deux mois durant, en faisant repartir le chômage en flèche et en mettant à mal tant de grandes industries et de petits commerces, la pandémie n’a pas fait que spectaculairement réduire le PIB. Bien plus que cela, elle a dévoilé l’ampleur de nos faiblesses, donné à voir les dangers de la désindustrialisation et les changements à l’œuvre dans des secteurs aussi essentiels que l’automobile et l’aéronautique, généralisé la prise de conscience des dangers pesant sur la planète et ouvert les yeux sur la transformation de la Chine en champion de la haute-technologie.

En France comme dans toute l’Union, nous en sommes à devoir tout à la fois définir de nouvelles priorités industrielles, rattraper le temps perdu dans la lutte contre le réchauffement climatique et nous doter de nouvelles armes dans une compétition de plus en plus brutale avec les puissances américaine et chinoise. Comme à la Libération, tout est à repenser et il revient donc à la puissance publique, à l’Etat et à la politique, de prendre les commandes de l’industrie pour organiser ce changement d’ère. 

Cela s’appelle le dirigisme qui n’est bien sûr pas le communisme, non pas la propriété collective des moyens de production mais la mise en œuvre, dans le cadre de l’économie de marché, d’une politique industrielle définie par l’Etat en concertation avec les principaux acteurs de la vie économique et sociale. Ce fut la règle, en Europe, durant tout l’après-guerre mais, après avoir connu son apogée, en France, sous le général de Gaulle, le dirigisme avait fini par s’incliner devant le néo-libéralisme théorisé par la « révolution conservatrice » des années 1980.

« L’Etat n’est pas la solution mais le problème », avaient alors proclamé Ronald Reagan et Margaret Thatcher. Le monde leur avait emboîté le pas pour quatre décennies mais la roue tourne, à nouveau. Redevenant la solution, l’Etat est à nouveau indispensable à l’économie de marché parce qu’il faut œuvrer à un bien commun transcendant l’intérêt immédiat des actionnaires ; que seules les puissances publiques peuvent mobiliser et garantir les capitaux exigés par les défis de l’heure et que c’est aux élus qu’il revient d’établir les priorités dans l’investissement des centaines de milliards d’euros des plans de relance nationaux et européen.

C’est dans toute l’Union que les différences entre cigales et fourmis s’estompent ainsi devant la nécessité d’emprunts communs. Entre les tenants de l’orthodoxie budgétaire et les autre, la grande dispute introduite par la révolution conservatrice s’achève en même temps qu’elle et, parallèlement, jusqu’en France, la différence entre droite et gauche perd beaucoup de sa pertinence.

Car enfin, ce tournant qu’Emmanuel Macron vient de prendre en faisant appel à Jean Castex est-il de droite ? De gauche ? Plus ou moins Vert ? La presse et le monde politique français se le sont demandé tout le week-end mais la question n’est pas là. En 1945, droite et gauche étaient dirigistes et ce nouveau Premier ministre qui a longtemps cotisé à un parti de droite se réclame du « gaullisme social », d’une droite dirigiste et soucieuse d’équité entre le Capital et le Travail. Aussi apprécié des syndicats que du patronat et avant tout connu pour ses talents d’organisateur, l’homme que le président de la République s’est adjoint ne pouvait pas être d’emblée récusé par la gauche qui s’en est d’ailleurs bien gardée. La droite, elle, ne pouvait pas le renier car il sort de ses rangs et cette nomination a ainsi désarmé droite et gauche avant même que le gouvernement ne soit formé et ne s’attaque à la restructuration de l’industrie française.

Cela fait-il de Jean Castex l’artisan de droite d’un tournant de gauche ?

Si l’on considère que le dirigisme est fondamentalement de gauche parce qu’il entend canaliser le marché, la réponse est « oui » mais Keynes, maître à penser des dirigistes, était un libéral. Gauche ou droite, le débat n’est plus là car nous sommes en 1945, avec l’Europe à reconstruire, France en tête.

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