C’est comme le Boléro. L’air, d’abord, s’entend à peine puis, à force de revenir, accroche l’oreille avant de l’emplir et de bientôt l’assourdir. On n’en est encore qu’à la moitié du morceau, lorsque l’air devient insidieusement entêtant, mais cette petite musique montante à la gloire des dictatures et de leur supposée supériorité sur la démocratie…

Coupez le son !

Nom de dieu coupez le son car comment peut-on dire que, comparée à celle des démocraties, la croissance chinoise prouverait « l’efficacité » du régime de M. Xi ? Comment peut-on oublier qu’on disait aussi que les trains arrivaient à l’heure sous Hitler ? Comment oublier qu’un taux de croissance ne s’apprécie pas qu’en pourcentage abstrait mais, avant tout, par rapport au point de départ et que la faible croissance d’une économie prospère reste ainsi préférable à la forte croissance d’une économie qui l’est infiniment moins ? Comment oublier que « l’efficacité » ne veut rien dire en elle-même car les Chinois se passeraient volontiers de celle de leur régime en matière de répression politique, de travail forcé, de camps de concentration ou d’inexistence de protection sociale, de droit du travail et de droit de grève ?

Coupez le son car on commence à réentendre, air connu, que les peuples n’auraient pas tous la même conception de la liberté et que les Chinois seraient ainsi heureux de bénéficier d’un pouvoir autrement plus fort que ceux des démocraties.

Ah bon ?

On se serait donc trompé sur le sens des manifestations de la Place Tien An Men ?

En 1989, les Chinois n’auraient donc pas manifesté en faveur de l’Etat de droit, des libertés et de droits de l’Homme mais pour plus de dictature et c’est pour cela que le Bureau politique aurait envoyé des colonnes de chars leur rouler dessus ?

Comme on peut se tromper, n’est-ce pas, mais trêve d’ironie, coupez le son et faites plutôt entendre, allegro vivace, que ce n’est pas en faveur de l’autocratie qu’on a manifesté samedi dans tant de villes de Russie. Des dizaines de milliers de gens y sont descendus dans la rue pour protester contre la corruption et l’impéritie du régime en place et à quoi faisaient penser leur nombre et leur courage ?

Vous, je ne sais pas mais, moi, j’ai repensé à cet immense espoir qu’avaient soulevé, en URSS, les premières vraies élections organisées par Mikhaïl Gorbatchev ; à cette folle contagion de la liberté qui avait saisi les mondes arabes en 2011 ; à la fièvre qui avait suivi la chute du mur ; à Tien An Men, bien sûr ; à cet immense vent de contestation des ordres établis qui, d’Est en Ouest, avait soulevé la jeunesse des années soixante et puis encore – c’est plus lointain mais si plein d’enseignements – aux révolutions de 48, à ce Printemps des peuples qui avait, en quelques mois, unifié l’Europe du XIX° siècle derrière l’étendard de la démocratie.

Ce moment inouï avait été aussi bref, pas plus d’un an, que les révolutions arabes. Comme elles, il avait été suivi d’un épouvantable retour de bâtons qui avait fait croire à l’invincibilité de l’absolutisme mais, deux décennies plus tard, la démocratie l’emportait, fortes des graines semées plus tôt et de l’universelle aspiration à vivre libre et maître de son destin.

Alors ce Boléro chinois, n’y croyez pas !

Depuis le 4 novembre, la force de la démocratie se lit chaque jour aux Etats-Unis. Elle se réveille en Russie. Elle ne se dément pas en Europe où les oppositions polonaise et hongroise relèvent la tête. A la moindre erreur, c’est le parti communiste lui-même qui débarrassera la Chine de M. Xi et si j’étais M. Poutine ou M. Erdogan, je commencerais à m’interroger.

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