Le pire n’est pas exclu. Imaginons un instant que les fonds du plan de relance européen tardent plus encore à être débloqués, que les faillites industrielles et commerciales grippent les échanges et qu’une crise, une vraie, s’installe avec ses cohortes de chômeurs et son effondrement des Bourses. Imaginons, parallèlement, que la crainte de fragiliser sa majorité sénatoriale pousse Joe Biden à trop perdre de temps à rechercher un compromis avec les Républicains, que le redémarrage de l’économie américaine en soit compromis et que la perte de confiance en ce nouveau président en vienne à paralyser son équipe.

L’un et l’autre de ces scénarios sont envisageables. Ils sont même aujourd’hui si plausibles qu’il faut se représenter leurs conséquences.

Des dizaines de millions de personnes plongeraient rapidement dans la misère. Les grands partis européens et le Parti Démocrate américain en seraient décrédibilisés. Des deux côtés de l’Atlantique, les forces démocratiques reculeraient au profit d’un rebond du trumpisme aux Etats-Unis et des nouvelles extrêmes-droites en Europe. Cette crise des démocraties susciterait une crise de la démocratie elle-même et un basculement des électeurs occidentaux vers les illusions du social-nationalisme et d’un chacun pour soi menant droit au tous contre tous.

N’exagérons rien, dira-t-on.

Nous n’en sommes pas là, dira le chœur des sereins et ils auront raison.

Nous n’en sommes pas déjà là car les dogmes thatchériens reculent tandis que le keynésianisme opère son retour avec les emprunts de l’Union européenne et le relèvement du salaire minimum aux Etats-Unis. Pour l’heure, c’est le bon sens qui l’emporte largement tandis que la vaccination s’étend, mais regardez !

Regardez la culture politique de Joe Biden qui le porte si naturellement à ce désir de compromis né des temps révolus où les Républicains n’étaient pas si massivement passés à la droite de la droite. Regardez l’Italie en quête essoufflée d’une majorité assez cohérente pour être vraiment stable.

Regardez l’Allemagne dont la majorité conservatrice est si divisée par l’effritement du tabou sur l’endettement. Regardez la France où les sondages promettent un coude-à-coude entre Emmanuel Macron et Mme Le Pen au second tour de la présidentielle de 2022. Regardez la folie qui a saisi les Pays-Bas face aux contraintes de la lutte contre la pandémie et regardez enfin, ce n’est pas le moins, la vitesse avec laquelle un retard de livraison des vaccins a failli mettre à mal la Commission européenne et toute l’Union avec elle.

La tempête ne s’est pas déjà levée mais elle menace, des deux côtés de l’Atlantique, et on ne l’évitera pas sans dire haut et fort qu’il faut non pas seulement hâter mais doubler l’effort de relance en Europe et se passer d’accord avec les Républicains pour le lancer aux Etats-Unis.

L’équipe Biden propose l’idée d’un sommet des Démocraties pour affirmer un  front commun contre les dictatures et les démocratures. Oui, très bien. Faisons-le ce sommet, au plus vite, mais qu’il soit alors l’occasion d’annoncer que les Démocraties prônent de concert un investissement massif dans les infrastructures, la recherche médicale et les industries d’avenir, qu’elles y procéderont elles-mêmes, par l’emprunt et sans attendre, qu’elles aideront ensemble les pays les plus pauvres à lutter contre cette pandémie et qu’elles se donneront les moyens de transformer l’Alliance atlantique en une alliance de partenaires égaux en droits et en devoirs.

Sans cela, sans la claire formulation de ces quatre objectifs communs, l’Europe et les Etats-Unis ne redonneront ni horizon à leurs électeurs ni foi démocratique au reste du monde et n’éviterons pas, en un mot, ce séisme qui sourdement gronde.    

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