Ce n’est pas assez. Ce n’est bien évidemment pas assez car ce minimum de 15% d’impôts que les sept démocraties les plus riches ont décidé d’imposer aux multinationales demeure ridiculement bas par rapport à ce que les PME, les salariés et les professions libérales paient dans la plupart des pays du monde.

La route de l’équité fiscale reste longue à parcourir mais l’accord auquel le G7 est arrivé samedi marque pourtant une rupture essentielle. Quarante ans après que Margaret Thatcher et Ronald Reagan aient imposé l’idée qu’il fallait réduire les prélèvements pour augmenter les rentrées fiscales en stimulant l’activité, les grandes capitales ont maintenant réalisé qu’il fallait cesser de réduire la pression fiscale pour cesser d’avoir à diminuer l’investissement collectif.

Un enfant de quatre ans l’aurait compris plus tôt mais il y a, c’est ainsi, des cycles économiques et politiques. A la fin des années 70, le financement de la solidarité sociale par la redistribution fiscale avait fini par sembler trop lourd aux classes moyennes occidentales. C’est ce rejet de l’impôt qui avait ouvert la voie à la révolution conservatrice mais la pandémie et la nécessité d’organiser une relance innovante remettent en scène l’Etat stratège.

Keynes reprend l’avantage sur Adam Smith mais le paradoxe est qu’au moment même où l’inspirateur de la social-démocratie et de l’économie sociale de marché éclipse celui de Margaret Thatcher et de Ronald Reagan, les gauches perdent leur prééminence intellectuelle au profit des droites.

Les idées de progrès, d’universalisme, de justice sociale, de tolérance et d’égalité des chances sont toujours plus battues en brèche par un retour du conservatisme et un rejet croissant des Lumières. Hier de gauche, les intellectuels sont désormais de droite et, pour dire les choses comme elles sont, la domination d’une droite de gauche succède à celle d’une gauche de droite car…

Reprenons.

Bousculées par le succès mondial du reagano-thatchérisme et contraintes de s’incliner devant la généralisation du dumping fiscal et social, les gauches occidentales avaient dû s’aligner sur la troisième voie de Bill Clinton et Tony Blair. Dès les années 90, elles n’ont plus guère contesté les dogmes économiques du néo-libéralisme. Elles ne se sont plus distinguées des droites qu’en défendant une évolution des mœurs que les conservateurs rejetaient. La gauche est devenue le parti des classes moyennes urbaines et cette gauche devenue libérale a abandonné sa base ouvrière aux nouvelles extrêmes-droites qui ont su séduire les cols bleus en dénonçant la mondialisation et prônant un retour aux frontières nationales.

En deux décennies, une fusion culturelle s’est opérée entre les conservateurs et les classes populaires qui ont communié, contre la gauche, dans le nationalisme, la peur du monde extérieur et une étrange addition de nostalgies des temps où les usines ne partaient pas en Chine, où le progrès social était constant et où les traditions, notamment religieuses, fixaient des normes communes aux nations.

La meilleure incarnation de ce magma est Donald Trump qui défend la foi et l’identité blanche des Etats-Unis avec autant d’ardeur qu’il pourfend la gauche, la Chine et les immigrés mais voilà maintenant que la Covid 19 renverse à nouveau la table.

Après avoir repris les commandes de l’Union européenne, Keynes est de retour aux Etats-Unis. Personne ne dit plus que « l’impôt tue l’impôt ». On l’augmente au contraire et, bien qu’ils soient plus que jamais à droite, nos pays embrassent des politiques de gauche.

La droite passe à gauche comme la gauche, il y a trente ans, était passée à droite. Une poule n’y retrouverait pas ses petits et la confusion politique de ce début de siècle est ainsi faite pour durer.

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