Que veut-il ? Quel est son but ? Pourquoi Vladimir Poutine a-t-il massé quelque cent mille de ses soldats le long de la frontière ukrainienne et pourquoi avait-il parallèlement encouragé le président bélarusse à organiser la venue à Minsk de migrants leurrés sur la possibilité d’entrer dans l’Union européenne par la frontière polonaise ?

La question hante aujourd’hui Kiev, Washington et les 27 capitales européennes qui se préparent, comme l’Otan, à l’hypothèse d’une opération militaire russe contre l’Ukraine qui s’attend, elle, et le dit à être attaquée en janvier prochain. La tension monte et dans ce qui ressemble furieusement à la justification préalable d’une nouvelle intervention russe en territoire ukrainien, Vladimir Poutine dénonce auprès de l’Union européenne les humiliations et dénis de droit dont seraient victimes les russophones ukrainiens.

Alors, oui, jusqu’où entend-il aller ?

Peut-être ne veut-il qu’entretenir une nervosité permanente des pays de l’Alliance atlantique et leur donner à voir qu’il peut faire ce qu’il veut ou presque dans l’ancienne aire soviétique sans qu’ils n’y puissent, eux, grand-chose. Ce serait, comme on dit, de bonne guerre. Cela ne lui coûterait que l’essence nécessaire aux tanks engagés dans cette gesticulation qui serait alors beaucoup plus politique que militaire mais on ne peut pas exclure que M. Poutine soit en train de tester les réactions occidentales avant d’aller plus loin.

Peut-être envisage-t-il, deuxième hypothèse, de créer une continuité territoriale entre la Crimée annexée et le Donbass, la partie orientale de l’Ukraine où des sécessionnistes font la loi grâce aux armes et au soutien financier que le Kremlin leur fournit depuis déjà sept ans. Le président russe détacherait alors de l’Ukraine une zone étendue qui deviendrait de facto russe et qu’un nouveau référendum, comme en Crimée, pourrait même intégrer à la Fédération de Russie.

Il n’y a pas là de certitude mais on ne peut pas exclure cette possibilité parce que Vladimir Poutine n’ignore pas que sa popularité décline et n’a certainement pas oublié le bond que l’annexion de 2014 lui avait permis de faire dans les sondages. Il peut être aujourd’hui tenté de rejouer cette carte pour faire oublier à sa population la baisse constante de son niveau de vie, l’impéritie mortifère avec laquelle est gérée la crise du Covid, la lassitude que suscite ses deux décennies de règne et le malaise grandissant des classes moyennes urbaines et des grandes fortunes devant le tête-à-tête avec la Chine auquel il condamne la Russie.

Dans ce qui a déjà tout d’un début de fin de règne, Vladimir Poutine a besoin de redorer son blason. Une aventure extérieure aux frontières mêmes de la Russie pourrait donc lui sembler aussi jouable que profitable mais lorsque l’histoire se répète, disait Marx, elle se caricature. L’armée ukrainienne n’est plus aujourd’hui ce qu’elle était au moment de l’annexion de la Crimée. Même contre l’armée russe, elle peut se battre et résister assez longtemps pour qu’une vraie guerre au cœur de l’Europe suscite un malaise jusqu’en Russie et finisse par être politiquement perdue.

Il est évidemment possible que Vladimir Poutine se berce d’illusions sur ses possibilités de l’emporter aussi vite qu’en 2014 mais il est une troisième possibilité, la plus inquiétante de toutes, qui serait qu’il table sur l’ouverture parallèle d’un autre front – non plus en Europe mais en mer de Chine car M. Xi s’impatiente.

Le président chinois voit bien que l’Union européenne et les Etats-Unis multiplient les gestes de solidarité avec Taiwan, que la marine américaine croise dans le détroit de Formose et que tous les pays asiatiques que la Chine inquiète se rapprochent à grands pas des Américains, des Européens ou des deux rives de l’Atlantique en même temps.

Il y a une évolution occidentale sur la question taïwanaise qui traduit une volonté de contrer la Chine communiste en sortant la Chine démocratique de son isolement. Xi Jinping en tête, les dirigeants chinois ne peuvent pas laisser faire sans que cela ne passe, en Chine et dans toute l’Asie, pour un aveu de faiblesse. Sans même aller jusqu’à une invasion de l’île, le président chinois pourrait ainsi vouloir affirmer sa puissance militaire dans le détroit de Formose et Vladimir Poutine comme lui n’auraient qu’intérêt à agir simultanément.

Année des élections américaines de mi-mandat, de la présidentielle française, des débuts de la nouvelle coalition allemande, des tensions européennes et asiatiques et de l’adoption par l’Union d’une « boussole stratégique » qui marquera les premiers pas de sa Défense commune, 2022 ne s’annonce autrement dit pas d’un grand calme.

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