Tout fait de Vladimir Poutine l’ennemi public N°1. Il l’est devenu car, en plus d’avoir agressé l’Ukraine, de la détruire et de martyriser sa population en la privant d’électricité, d’eau et de chauffage, cet homme est aussi coupable de deux autres crimes menaçant l’un et l’autre la paix mondiale.
Le premier est de conduire la Russie à l’éclatement. Beaucoup se diront, et pas seulement en Ukraine, que l’ours en serait privé de ses griffes et qu’il n’y aurait aucune raison de le regretter mais lorsque la guerre, les sanctions occidentales et le recul des exportations de gaz et de pétrole auront encore plus mis à mal l’économie du plus étendu des pays du monde, on mesurera l’ampleur du désastre.
A ce moment-là, la colère sociale et le désespoir des familles privées de père, de fils ou de mari se tourneront contre le Kremlin et plongeront toute la Fédération dans une violente crise politique. Tandis que l’armée russe continuera de s’embourber en Ukraine et que l’Asie centrale s’affranchira définitivement de Moscou, tandis que la Russie perdra sur tous les fronts, les prétendants à la succession de Vladimir Poutine se déchireront, les dirigeants régionaux se découvriront un destin et plus d’un des peuples du Caucase, du grand Nord ou de l’Est lointain se dira que l’heure de l’indépendance est venue. Dans l’inconnu d’une nouvel aléa, la guerre civile déchirera une puissance nucléaire. Les mouvements djihadistes trouveront là de nouveaux terrains d’action et la Chine et la Turquie seront immanquablement tentées d’intervenir dans l’immense chaos que l’Union européenne verra naître à ses frontières.
Le second des autres crimes de Vladimir Poutine est d’avoir déjà considérablement dégradé l’économie mondiale en réduisant le volume des échanges. Tous les continents en souffrent. Tant que cette guerre n’aura pas cessé, ils en souffriront toujours plus et les tensions sociales et politiques se multiplieront aux quatre coins du globe.
Pour le salut de l’Ukraine, de la Russie et du monde, le président russe et son régime doivent perdre cette guerre au plus vite mais alors même que ce constat n’est guère discutable, les conclusions n’en sont pas tirées.
Il est incompréhensible que les Etats-Unis et l’Union européenne ne fassent pas plus qu’ils ne le font pour contribuer à la victoire de l’Ukraine. Nous l’aidons à ne pas perdre. Nous l’aidons à faire face, à survivre et reprendre des territoires perdus. Cela pèse sur les budgets européens et américain et commence même à dégarnir les arsenaux de l’Alliance atlantique. Ce n’est pas rien mais cela reste insuffisant.
L’Ukraine a besoin de protections aériennes, aviation et boucliers anti-missiles. Il lui faut des chars. Il lui faut les moyens de gagner et de gagner vite mais notre aide demeure comptée parce que nous craignons que les Ukrainiens ne veuillent aller reprendre la Crimée ou ne démontrent leur capacité à rendre coup pour coup en s’attaquant aux infrastructures de la Russie. Des deux côtés de l’Atlantique, nous craignons en fait que la perspective d’une trop cinglante et rapide défaite ne puisse porter le président russe à de nouvelles extrémités alors que ce n’est, au contraire, que s’il conserve l’espoir de reprendre la main qu’il fera monter les enchères.
L’inconséquence n’est plus de mise. En plus d’étendre et accélérer leurs livraisons d’armes à l’Ukraine, les Démocraties doivent tout faire pour isoler Vladimir Poutine sur la scène internationale. Face à l’ennemi public N°1, il leur faut constituer un front aussi large que possible en se résolvant à faire cause commune avec des régimes qu’elles ont toutes raisons de condamner.
Les dirigeants d’Asie centrale ne sont absolument pas démocrates mais les Démocraties doivent soutenir leur désir de s’émanciper du Kremlin. Le Venezuela, le Qatar ou l’Arabie saoudite ne sont aucunement respectueux des droits de l’Homme mais si leur pétrole ou leur gaz peuvent remplacer ceux de M. Poutine, eh bien…
A la guerre comme à la guerre car la priorité ne peut aujourd’hui pas être donnée aux batailles pour l’état de droit. Il n’est que trop vrai, par exemple, que la droite polonaise au pouvoir bafoue ses engagements européens en s’asseyant sur l’indépendance de la Justice. Contrairement au Premier ministre hongrois, cette droite ne s’en est pas moins portée aux côtés de l’Ukraine en l’armant et accueillant ses réfugiés. Dans le contexte de cette guerre, cela fait toute la différence et plutôt que de continuer à mettre dans le même sac les dirigeants polonais et hongrois au motif que tous sont oublieux du droit, la Commission, les capitales et le Parlement de l’Union européenne seraient mieux avisés de s’entendre avec la Pologne pour imposer un rapport de force à ce soutien du Kremlin qu’est Viktor Orban. Ce serait, c’est vrai, s’arranger avec la morale. L’opposition polonaise aurait tout motif de s’en indigner mais, face à Vladimir Poutine, l’impératif n’est pas de garder les mains propres mais de mettre hors d’état-de-nuire un incendiaire contre lequel il est temps de réapprendre la realpolitik.
Si les Démocraties avaient évidemment eu raison de s’allier à Staline durant la Deuxième guerre mondiale, elles peuvent et devraient se rapprocher plus activement de Narendra Modi, Premier ministre indien qui ne sait pourtant pas ce qu’est le respect des minorités. Commercial ou diplomatique, l’Inde doit pouvoir trouver un intérêt majeur à tourner le dos au Kremlin et même avec la Chine, même avec le pays dont M. Xi a refait la plus grande dictature du monde, il faudrait chercher un deal qui n’est peut-être plus impossible.
Freinée par la guerre d’Ukraine et les confinements anti-Covid, la croissance chinoise recule et nourrit une inquiétude sociale qu’attise la crise immobilière. Le contrat qui liait le Parti communiste et la société n’est ainsi plus loin de se rompre car les Chinois n’ont plus de raisons de laisser au parti le monopole du pouvoir alors que les perspectives d’amélioration de leur niveau de vie s’évanouissent. Le mécontentement devient, autrement dit, si politique et sans doute général que les manifestations de dimanche pourraient en avoir annoncé d’autres face auxquelles M. Xi pourrait bientôt n’avoir que deux options possibles : une invasion de Taïwan ou un apaisement avec les Etats-Unis.
La seconde serait pour lui beaucoup moins risquée que la première et c’est le moment de lui faire voir les avantages qu’il pourrait trouver à ne plus soutenir la cause perdue qu’est le locataire du Kremlin.