Tant d’inconnues s’additionnent que l’année prochaine est imprévisible. Y aura-t-il un Brutus pour changer la donne à Moscou ? Une défaite de Recep Erdogan aux élections de juin pourrait-elle ouvrir une nouvelle ère au Proche-Orient et dans toute la Méditerranée ? Les Iraniens auront-ils raison de leur théocratie dont l’appui manquerait alors à Vladimir Poutine comme à Bachar el-Assad ? L’inflation pourrait-elle s’emballer en Europe et y provoquer assez de troubles sociaux pour que les Etats de l’Union en soient affaiblis ?

On pourrait allonger cette liste de questions en se demandant également si l’entrée d’une extrême-droite anti-arabe au gouvernement israélien pourrait ré enflammer le plus vieux des conflits et comment Xi Jinping essaiera de reprendre la main maintenant que des manifestations l’ont obligé à assouplir les mesures de confinement mais, en politique, rien ne sert d’entonner avec Doris Day : « Que sera, sera, Whatever will be, will be ».

Ce qui sera, le sera mais, au-delà de cette évidence, comment tenter d’empêcher qu’un enchaînement de tensions ne finisse par mener à un troisième conflit mondial alors qu’il ne s’agit pas là d’une hypothèse mais d’une réelle possibilité ?

Puisque ce serait tout sauf impossible, imaginons une seconde qu’une flambée de Covid embouteille les hôpitaux chinois, que l’ampleur de l’épidémie et la vague de décès provoquent une crise économique et que le pouvoir de Xi-Jinping en soit menacé par des rivaux s’appuyant sur le mécontentement populaire. Hors son improbable démission, le président chinois n’aurait alors plus qu’une carte à jouer : s’attaquer à Taïwan afin de prendre les commandes de l’armée et de susciter un élan nationaliste dont il espérerait tirer profit.

Si l’on en arrivait là, les Etats-Unis ne pourraient pas laisser la Chine prendre l’avantage sur eux en s’imposant à l’Asie. Ne serait-ce qu’en s’interposant, les Etats-Unis interviendraient dans ce conflit et l’on voit mal comment on n’assisterait pas de proche en proche à la formation puis à la confrontation de deux blocs, Occidentaux d’un côté, Chine, Russie et d’autres émergents de l’autre.

Imaginons ensuite que l’armée ukrainienne continue à repousser les troupes russes vers leurs frontières et qu’aucun Brutus ne change la donne au Kremlin. On ne sait pas à quelle nouvelle extrémité cela pourrait conduire Vladimir Poutine mais il pourrait tout aussi bien en arriver à recourir à des armes de destruction massive qu’à tester l’Alliance atlantique par une incursion en Pologne ou dans l’un des Etats baltes, pays que leur appartenance à l’Alliance place sous la protection nucléaire des Etats-Unis.

Inutile de dire que le monde connaîtrait ce jour-là une crise autrement plus grave que celle de Cuba car il n’y a plus de Bureau politique pour canaliser les impulsions d’un homme qui n’a pas, non plus, la rationalité d’un Khrouchtchev.

Imaginons encore que la théocratie iranienne veuille se doter de l’arme nucléaire – elle en a désormais les moyens – afin de redorer son blason et de pouvoir plus encore réprimer son peuple. Il n’est pas prouvé qu’Israël et les pays du Golfe laisseraient faire et qu’un bombardement des installations nucléaires iraniennes ne soit immédiatement suivi d’une pluie de missiles sur Tel-Aviv et Ryad.

Imaginons enfin, car cela se dit beaucoup à Ankara, que Recep Erdogan annexe la partie turque de Chypre ou certaines des îles grecques proches de ses côtes pour tenter de ressouder derrière lui un pays las de son autoritarisme et d’une inflation frôlant les 100%. Ce sont des pays membres de l’Alliance atlantique qui entreraient ainsi en conflit au moment même où l’Alliance et la Russie sont aux prises et pourraient l’être beaucoup plus encore au printemps qu’elles ne le sont aujourd’hui.

Ne serait-ce que sur ces quatre fronts, l’année 2023 sera la plus périlleuse de tout l’après-guerre. Peut-être sommes-nous déjà entrés dans un avant-guerre sans vouloir nous en rendre compte mais cela ne signifie pas qu’il n’y aurait rien d’autre à faire que de nous croiser les bras et d’attendre, résignés, que ce qui sera soit.

Il faut au contraire réagir en voyant d’abord que, contrairement à l’idée reçue, le rapport des forces est favorable aux Démocraties. Les régimes chinois, turc, russe et iranien ont de considérables moyens de nuisance mais ce sont eux qui sont en crise, eux qui sont désavoués par leurs peuples et eux encore qui ne savent plus comment s’en sortir. Les Démocraties, à l’inverse, ont su armer l’Ukraine et lui permettre de résister à l’agression du plus étendu des pays du monde. L’attachement des Européens à leur Union n’a parallèlement jamais été aussi grand alors que M. Poutine est lui parvenu à élargir les rangs des 27 et de l’Otan tandis que l’Asie centrale se détache de Moscou. Xi-Jinping, quant à lui, était à peine devenu le nouveau Mao que sa toute-puissance est mise en doute. Recep Erdogan prendrait, pour sa part, de grands risques à vouloir éviter une défaite électorale en recourant à la guerre et même le Premier ministre hongrois, Viktor Orban, grand soutien de Vladimir Poutine et théoricien de l’illibéralisme est en perte de vitesse avec une inflation de plus de 20% et un difficile bras-de-fer avec ses partenaires de l’Union.

Les Démocraties ont leurs problèmes. Ils sont complexes et nombreux mais aucune crise de régime ne les menace et les difficultés de MM. Poutine et Xi renforcent si considérablement leurs autorité que leurs marges de manœuvres s’élargissent.

Ensemble, les Démocraties pourraient mettre le président russe en mauvaise posture en avançant une proposition d’architecture européenne qui offre des garanties de sécurité à tous les pays du continent. Cela permettrait de susciter un débat à Moscou, d’offrir une porte de sortie à la Russie, de rendre ses frontières internationales à l’Ukraine et, l’agression repoussée, d’ouvrir un jour une ère de stabilité et de coopération continentales.

De la même manière, l’Union européenne pourrait publiquement inciter les Chinois à offrir des garanties de sécurité à leurs voisins asiatiques et à amorcer par-là un processus de désarmement en Asie comparable à celui qu’avait connu l’Europe avec la détente et la perestroïka. Cela permettrait de geler la question taiwanaise le temps de laisser évoluer la Chine vers l’ambition d’organiser une coopération pacifique des Etats de sa périphérie, voire un marché commun asiatique.

Parce que les dictatures sont affaiblies, c’est le moment de leur proposer d’en revenir aux principes de la charte des Nations-Unies et de faire évoluer le fonctionnement de l’Onu, de son Conseil de sécurité et de l’ensemble des organisations internationales.

Alliée des Etats-Unis mais désormais suffisamment unie, riche et forte pour exister par elle-même, l’Union européenne aurait les moyens de commencer à jouer en 2023 un rôle d’intermédiaire et de faiseur de paix en Europe, en Asie et au Proche-Orient. L’Union peut et doit conjurer l’avant-guerre naissant car, si ce n’est pas elle, qui ?

(Cette chronique reprendra le deuxième lundi de janvier)

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