On ne comprend d’abord pas. Comment, pourquoi, un chef d’Etat peut-il se faire dénoncer comme « va-t-en guerre » parce qu’il a déclaré que « rien n’était exclu » pour empêcher Vladimir Poutine de l’emporter en Ukraine ?
Tous ceux qui condamnent cette agression auraient au contraire dû applaudir Emmanuel Macron d’avoir fait enfin voir l’aveuglement qu’Américains et Européens avaient choisi en s’époumonant à dire qu’ils n’enverraient pas de troupes au sol pour repousser les troupes russes. Qu’ils aient ou non envisagé cette hypothèse, qu’ils l’aient ou non exclue, pourquoi s’échinaient-ils à rassurer Vladimir Poutine plutôt que de l’inquiéter en laissant planer l’incertitude ? Pourquoi oubliaient-ils ce b-a-ba de l’art de la guerre qui s’appelle l’ambiguïté stratégique et pourquoi reprocher au président français d’avoir su renouer avec elle ?
Il y a deux explications à cela.
La première est qu’à l’exception d’une grande partie des Baltes et des Polonais, les dirigeants occidentaux ont longtemps cru que Vladimir Poutine reviendrait à la Raison après avoir échoué à briser l’Ukraine en quelques jours. Il va devoir chercher un compromis, pensaient-ils. Il proposera de garder la Crimée mais de se retirer du Donbass. Les Ukrainiens accepteront en échange des garanties de sécurité que leur donnerait leur entrée dans l’Alliance atlantique et l’Union européenne. Un accord honorable reste possible, croyaient-ils, et ce n’est pas à nous de le compromettre en faisant monter les enchères, fût-ce en mots.
Parce qu’ils n’avaient pas pris au sérieux l’ambition déclarée de Vladimir Poutine de reconstituer l’Empire russe, les Occidentaux s’étaient bien sûr trompés. C’est dès le printemps 2022, au moment de la débâcle russe, qu’il aurait fallu livrer avions et missiles de longue portée à l’Ukraine plutôt que de laisser l’armée russe bâtir les lignes de défense auxquelles les combattants ukrainiens se sont bientôt heurtés mais maintenant ?
Les regrets ne servent à rien mais il faut que Vladimir Poutine ne puisse désormais plus tabler sur ce qu’il considère comme la couardise d’Européens trop décadents, pense-t-il, pour pouvoir même envisager de relever le défi qu’il leur a lancé. Comme le ministre polonais des Affaires étrangères, Radoslaw Sikorski, vient de le dire en approuvant Emmanuel Macron : « Il s’agit que Poutine ait peur et non pas que nous ayons peur de Poutine ».
Un enfant le comprendrait mais les gauches, les droites et les extrêmes-droites françaises s’indignent à l’unisson de ce « rien n’est exclu » comme s’il allait précipiter une troisième guerre mondiale. Eh bien non ! Cette évidence n’est pas susceptible de provoquer un échange nucléaire entre la France et la Russie mais de faire prendre conscience au maître du Kremlin que les Européens sont réellement décidés à défendre l’Ukraine et qu’ils le feront même si Donald Trump était élu et tournait définitivement le dos à Kiev.
Cet avertissement, il fallait le donner à Vladimir Poutine. Il fallait le formuler publiquement non pas en prélude à un envoi de troupes mais pour éviter d’avoir à en dépêcher en masse le jour où ayant défait l’Ukraine et reconstitué ses forces, ce Staline aux petit pieds en viendrait à vouloir s’attaquer aux Pays baltes en tablant sur une lâcheté des Européens et une passivité des Etats-Unis. Il fallait renverser la table pour ouvrir les yeux et les oreilles de trop d’assoupis mais pourquoi tant d’émois et de protestations ?
Là encore l’explication n’est que trop claire. La vérité est que beaucoup des responsables politiques européens, en France comme ailleurs, ne sont prêts à soutenir l’Ukraine qu’à la condition que cela ne demande pas de vrais sacrifices et que nous puissions toujours nous sentir en paix et continuer à ne pas voir que Vladimir Poutine nous a déjà déclaré la guerre en tentant de mobiliser les Russes contre nous, en dressant les Africains contre l’Europe et en multipliant les ingérences politiques, les cyberattaques et même les provocations militaires.
« Nous soutenons l’Ukraine mais à la condition que s’ouvrent des négociations immédiates », disent-ils sans comprendre que Poutine souhaite négocier ce qu’il n’a pas déjà conquis et conserver ce qu’il a déjà annexé. « Nous soutenons l’Ukraine, disent-ils, mais… » et c’est ce seul « mais » que Poutine entendait jusqu’à présent, un « mais » sur lequel il ne devra plus pouvoir compter puisque les Européens s’éveillent et qu’enfin « rien n’est exclu ».