Pourquoi notre liberté est en danger et comment la sauver

de YASCHA MOUNK – Harvard University Press 2018

Le livre de Yascha Mounk publié l’année dernière a conquis les salles des bibliothèques universitaires, mais aussi de nombreuses autres agoras intellectuelles. J’ai participé, pas plus tard que le mois dernier, à deux tables rondes inspirées par le livre – dans des lieux aussi différents qu’Istanbul et Łódź.  Voici donc un résumé de ce livre que je recommande vivement.

Dans son livre, Mounk tente de donner un sens au nouveau paysage politique en faisant quatre constats : il montre que la démocratie libérale se décompose maintenant en sous-ensembles, donnant naissance à une démocratie illibérale d’un côté et à un libéralisme non démocratique de l’autre. Il soutient que le profond désenchantement à l’égard de notre système politique constitue un danger existentiel pour la survie même de la démocratie libérale. Il tente d’expliquer les racines de cette crise. Et indique la voie de ce qui peut être fait pour sauver ce qui est précieux dans notre ordre social et politique en péril.

Il affirme qu’à l’heure actuelle, les ennemis de la démocratie libérale semblent plus déterminés à façonner notre monde que ceux qui la défendent. Que si nous voulons préserver à la fois la paix et la prospérité, le régime démocratique et les droits individuels, nous devons reconnaître que nous ne vivons pas des temps ordinaires, et que les efforts auxquels nous devons consentir pour défendre nos valeurs sont extraordinaires.

Plus intéressant encore, Mounk propose quelques solutions :  dans la mesure où la nation est, dans la fameuse métaphore de Benoît Anderson, une « communauté imaginée », la façon dont nous en parlons a le pouvoir de peser sur sa nature. Les dirigeants politiques devraient adapter leurs narratifs avec des termes plus inclusifs.

Il plaide également en faveur d’une politique d’intégration véritablement libérale qui s’engagerait, par une approche nouvelle, à faire en sorte que les minorités ne soient pas victimes de discrimination ou que leurs perspectives ne soient bridées par autant d’obstacles structurels. Cette politique s’opposerait parallèlement à ceux qui, par crainte d’être accusés à tort de discrimination ou par un engagement trop prononcé en faveur du relativisme culturel, entendent exempter les minorités des droits et devoirs fondamentaux d’une société libérale.

L’idéal d’une nation inclusive exige que l’État protège les droits de tous les individus, envers les membres de leur propre famille, comme envers leurs voisins. Si nous voulons préserver la démocratie libérale, nous ne pouvons pas dispenser les minorités de ses exigences. Mais le même idéal donne une vision moins claire sur un sujet encore plus chargé d’émotion : la nature et l’ampleur de l’immigration.

Une solution à la crise actuelle de la démocratie libérale est aussi de nature économique. Un moyen évident d’inverser les tendances préoccupantes des décennies passées est de revoir en profondeur les politiques qui les ont exacerbées. Cela signifie qu’il faut augmenter les taux d’imposition effectifs des personnes les mieux loties et des entreprises les plus rentables. Il s’agit de rétablir les éléments de base de l’État-providence, c’est-à-dire d’investir dans des domaines comme les infrastructures, la recherche et l’éducation, où les dépenses publiques sont autant de promesses d’un rendement positif à long terme, au lieu de réduire les dépenses dans tous les postes budgétaires. Et bien sûr, cela signifie que chaque citoyen a droit à des soins de santé décents.

L’objectif le plus important d’un État-providence repensé devrait être de dissocier les prestations sociales de l’emploi traditionnel. C’est tout à fait logique lorsqu’il s’agit de récolter l’argent nécessaire pour financer l’État providence : bien qu’il soit primordial que les entreprises contribuent à supporter le fardeau des aides sociales-clés, il est peu logique de demander à celles qui créent beaucoup d’emplois une contribution proportionnellement plus élevée que celles qui en créent très peu. Il en va de même pour les individus : avec l’augmentation rapide du nombre de personnes qui accumulent des richesses, il est de moins en moins logique de placer le fardeau du financement de l’État-providence en premier lieu sur les salariés. Mounk souligne également le rôle fondamental de l’éducation civique : les êtres humains sont incroyablement versatiles. Nos grands-parents auraient trouvé inconcevable que l’éducation civique en vienne à s’atrophier à ce point. En revanche, il semble aujourd’hui inconcevable que nous puissions reconstruire un pays dans lequel les écrivains auraient pour ambition de promouvoir les valeurs de la démocratie libérale ; l’éducation civique est au cœur du programme ; les enseignants de tous niveaux ne ménagent pas leurs efforts pour transmettre à leurs élèves une compréhension approfondie de la Constitution et de ses principes intellectuels ; la plupart des citoyens reconnaissent que, pour survivre, ils doivent se battre à tout moment sur le plan idéologique pour leur système politique.

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