Deux choses sont frappantes, à Bruxelles et Strasbourg. La première est l’américanisation de la scène politique européenne et la seconde, la soudaine percée des idées françaises sur l’Europe.

Il y a encore peu, deux ans, seize mois peut-être, la France était moquée par tous ses partenaires ou presque. La « grande nation », disaient ironiquement les Allemands et ses appels à la constitution d’une Défense européenne étaient perçus comme relevant d’un antiaméricanisme obsessionnel. Ses incantations sur « l’Europe puissance », cette ambition de faire de l’Union un acteur international d’un poids égal à celui des Etats-Unis n’étaient, murmurait-on, que nostalgie mégalomane d’un vieux pays à la grandeur perdue. Quant aux plaidoyers des présidents de la République en faveur d’une politique industrielle commune, ils n’étaient que la marque d’un colbertisme dépassé par des temps libéraux dont seule la France n’avait pas vu le triomphe.

Depuis quelque 50 ans et malgré Jacques Delors, il était dur d’être Français dans cette unité européenne que la France avait pourtant inventée, mais vint M. Trump.

Georges Bush et Barack Obama l’avaient annoncé mais là, c’était clair. L’Amérique ne veut plus être le gendarme du monde. Elle veut avant tout défendre ses intérêts et sa place de première puissance économique mondiale. Elle n’a plus d’alliés qui comptent, pas plus en Europe qu’au Proche-Orient. L’Amérique ne pense plus qu’à ne pas se laisser dépasser par la Chine et il n’y a ainsi plus de parapluie américain sur une Europe que bordent, à l’Est, la Russie de M. Poutine et au Sud, les chaos de l’Afrique et du Proche-Orient.    

Alors en quelques mois, l’Europe s’est éveillée au besoin de relever le gant.

L’Europe n’est pas déjà française comme elle fut allemande ces quinze dernières années. Elle ne s’est pas déjà convertie à la Défense commune, à l’Europe politique et aux investissements communs dans les industries d’avenir mais plus aucune de ces trois idées ne lui semble loufoque. On en parle. On les examine. Politiquement parlant, on reparle français dans les couloirs du Parlement car on conçoit bien, même à Varsovie, même dans la plus atlantiste des capitales européennes, que l’Union ne peut pas rester sans Défense, que nous devons avoir une politique étrangère assurant notre protection et que nous ne pouvons plus rater d’autres révolutions industrielles maintenant que le président américain a fait de l’Union un concurrent économique à mettre au pas.

Ce changement d’atmosphère est d’autant plus spectaculaire que le défi climatique remet la puissance et les politiques publiques au cœur du débat, que la nécessité d’une Europe politique en parait encore plus forte et que le recul des échanges internationaux fait assez souffrir l’économie allemande pour que les mots de « relance budgétaire » ne soient plus tabous à Berlin.

Tout change. Tout a déjà changé dans l’Union et, parallèlement, on voit s’esquisser au Parlement un bipartisme rappelant beaucoup celui des États-Unis. Là non plus on n’y est pas, encore moins que sur les idées françaises, mais la tendance est nette car au-delà des trop nombreux groupes politiques et de leurs réelles différences, deux grands blocs paraissent en gestation. De la gauche utopiste au centre réformateur en passant par les sociaux-démocrates et les Verts, une mouvance démocrate se retrouve régulièrement sur la défense des libertés et des droits de l’Homme tandis que des passerelles et parfois des ponts s’ouvrent entre certaines des nouvelles extrêmes-droites et des pans entiers du Parti populaire, conservateur et majoritaire. La frontière n’est pas nette. Sur l’économie, les choses sont autrement plus complexes et en pleine évolution car Keynes opère un retour dans tous les courants mais il y a un parti républicain et un parti démocrate avec de claires affinités dans le look vestimentaire, les regroupements aux bars et la domestication des barbes et des chevelures.

Pour qui a participé à des conventions démocrate et républicaine, on retrouve à Bruxelles les sociologies et les cultures des deux partis américains, y compris la droitisation des Républicains. En prenant le chemin de son affirmation politique, l’Union européenne emprunte au système politique américain et peut-être y a-t-il une logique dans cette ressemblance croissante entre les États-Unis d’Europe et d’Amérique.

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