Le retour d’Alexeï Navalny en Russie, ses nouvelles condamnations, les manifestations qui se sont ensuivies et la brutalité de leur répression, l’humiliante façon aussi dont Sergueï Lavrov a reçu à Moscou le Haut représentant de l’Union européenne pour la politique étrangère, Josep Borrell – tout cela a suscité de nombreux débats au Parlement européen. 

Au cours d’une récente discussion, par écrans interposés, entre des représentants de l’opposition russe et plusieurs des membres du Parlement, je suis intervenu pour souligner que le pouvoir de Vladimir Poutine allait désormais en s’affaiblissant, qu’il n’était plus éternel, que l’Opposition ne pouvait donc plus se contenter de dénoncer la corruption et les atteintes aux droit de l’homme mais devait se doter d’un « programme politique, simple, clair et commun ».

Voici le texte de mon intervention qui a été publiée de 26 février 2021 sur le site d’ECHO MOSKWY :

https://echo.msk.ru/blog/b_guetta/2796636-echo/

« Il est toujours arrogant et plutôt ridicule de donner des conseils politiques de l’étranger.

Français et vivant entre Paris et Bruxelles, je ne devrais donc pas dire un mot mais…

Je vais pourtant le faire parce que j’ai toujours été passionné par l’Histoire russe, que j’ai personnellement connu et défendu les plus célèbres de vos dissidents des années soixante-dix, que je connais aussi les grandes figures politiques de la pérestroïka, que j’aime votre pays et que j’ai été le témoin engagé de la fin du communisme et de l’Union soviétique quand je vivais à Moscou comme correspondant du Monde.

Alors permettez-moi, d’abord, de vous dire ma conviction que les temps actuels touchent à leur terme. Cela peut être long et cruel. Cela peut encore durer de trop longues années mais, pour Vladimir Poutine, c’est le commencement de la fin parce que les Russes de moins de 40 ans ne peuvent pas plus se souvenir de l’Empire russe devenu soviétique que du holdup sur les propriétés nationales que furent les privatisations des débuts de l’ère Eltsine.

Ils sont nés après la chute du mur ou n’étaient pas même adolescents quand l’URSS s’est défaite. Ces deux traumatismes ne sont pas les leurs et l’homme qui s’était assuré une immense popularité en promettant de venger cette double humiliation n’a ainsi rien, pour eux, de ce jeune et si musclé sauveur de la nation qu’il avait été aux yeux de leurs parents. 

Pour les Russes de moins de quarante ans, pour la Russie de demain, Vladimir Poutine n’est que le président vieillissant sous lequel ils ont toujours vécu, que l’homme qui s’épuise à reconquérir un Empire perdu et les brouille avec leurs voisins immédiats, que l’incarnation de temps où le niveau de vie baisse et les caisses se vident tandis que fleurit une corruption dont personne n’ignore plus l’ampleur.   

Les trois seuls atouts restants à Vladimir Poutine sont la brutalité croissante de la répression, l’absence d’une relève organisée et la peur du vide qui s’ensuit. Avec cela, il peut survivre mais non plus s’attacher de vrais partisans, une base sur laquelle fonder une continuité durable, et cette nouvelle situation commande aux opposants de présenter à la Russie un programme politique, simple, clair et commun.

La dénonciation de la corruption et de la violation des droits civiques reste plus que jamais indispensable mais elle n’est plus suffisante.

Pour l’opposition comme pour l’ensemble des Russes et des peuples de la Fédération la question est maintenant de savoir que faire et d’ainsi définir des buts communs aux forces motrices du pays, aux classes moyennes urbaines, bien sûr, car elles sont l’avenir mais également aux forces de sécurité, aux grandes fortunes et aux plus pauvres des villes et des campagnes.

La tâche est difficile mais certainement pas impossible.

Pensez avant tout à la nécessité d’instaurer dans votre pays une justice sociale qui devient, en Russie, une absolue nécessité pour les plus démunis et le seul moyen, pour les plus riches, d’éviter une révolution. Soyez le parti du Welfare state, des équipements collectifs, des routes, des écoles et des hôpitaux, de l’équité et de la protection sociales.

Soyez le car tout pays aspire à la justice et au bien commun et parce que la prééminence de l’entreprise, de l’argent et du profit ne peut être nécessaire que pour corriger des excès de la protection, qu’après l’instauration de la justice sociale et non pas avant. Avant que l’équité n’ait été assurée, le thatchérisme n’est que la brutalité du XIX° siècle, celle que dénonçaient Dickens et Zola et qui finit par mener – qui d’autre que la Russie le saurait mieux ? – aux flots de sang des révolutions, à la terreur et la dictature.

Faites-vous, ensuite, le parti de la paix. Devenez le parti du refus de toute intervention militaire qui ne soit pas destinée à défendre vos intérêts vitaux, le parti du rejet de ces aventures meurtrières et coûteuses qui ne vous rapportent rien et vous privent de tant de ressources – le parti qui ne cessera plus de demander combien coûte à la Russie le sauvetage de Bachar al-Assad et où est l’avantage qu’elle aurait trouvé à aller rétablir à coup de bombes cette dictature aussi corrompue que sanguinaire.

Soyez, troisièmement, le parti de la Russie européenne et non pas de cette Russie chinoise que les politiques de Vladimir Poutine vous condamnent à devenir. La Russie doit avoir les meilleures relations possibles avec la Chine parce que vous partagez quelque 4000 kilomètres de frontières avec ce géant économique. Une bonne entente avec le plus peuplé des pays du monde s’impose à vous parce que votre démographie est faible et qu’aucun autre Etat n’est aussi étendu que le vôtre mais pas plus l’appareil de sécurité que les oligarques, la classe moyenne urbaine ou le plus pauvre des villageois, personne dans votre pays ne souhaite être vassalisé par la Chine car ce serait contraire à la culture, à l’Histoire et à l’intérêt de la Russie.

Soyez donc le parti d’un modus vivendi avec l’Union européenne, non pas d’une subordination à l’Europe occidentale qui n’a ni les moyens ni l’ambition de vous imposer quoi que ce soit mais d’une coopération économique et d’accords de sécurité entre les deux piliers de notre maison commune, de notre continent commun, l’Europe, et de notre civilisation commune.       

Et quatrièmement, soyez le parti d’une véritable fraternité entre les nations de l’ancien Empire russe – une fraternité fondée sur un combat commun pour les principes démocratiques, le respect de l’indépendance nationale, le bon voisinage et la non-intervention dans les affaires intérieures. Là devrait être vos propositions sur les relations entre la Russie et ses voisins immédiats et, maintenant, faisons un rêve. 

Rêvons que les oppositions russe et bélarusse œuvrent à bientôt signer une déclaration commune affirmant la communauté de leurs objectifs de liberté, d’égalité et de fraternité et appelant toutes les personnes de bonne volonté, partout de par le monde, à soutenir leur combat commun.

Croyez en un Français, cette déclaration commune serait votre prise de la Bastille. »

Journaliste, spécialiste de géopolitique et ancien correspondant du Monde à Varsovie, Washington et Moscou, Bernard Guetta est député européen (groupe Renew)

Во время недавней беседы российских оппозиционеров с депутатами Европарламента, Бернар Гетта призвал оппозицию выработать « общую политическую программу, простую и ясную « .

Вот текст его выступления:

Человек, дающий политические советы из-за границы, всегда выглядит весьма самонадеянно и довольно нелепо.

Я француз, живу между Парижем и Брюсселем, поэтому мне лучше бы помалкивать, но…

Я все-таки выскажусь на эту тему, потому что всегда был страстно увлечен историей России, потому что был лично знаком и выступал в защиту самых знаменитых ваших диссидентов семидесятых годов и знаю крупных политических деятелей перестройки, потому что люблю вашу страну и потому что я стал ангажированным  свидетелем конца коммунизма и Советского Союза, когда жил в Москве, занимая пост корреспондента газеты « Монд ».

Так что позвольте мне сказать, прежде всего, что я убежден в том, что нынешнее время подходит к своему финалу. Этот период может оказаться долгим и жестоким. Он может затянуться еще на годы, но для Владимира Путина это начало конца, потому что россияне младше 50 лет не помнят ни Российской империи, ставшей советской, ни «налета» на государственную собственность, которым, по сути, явилась приватизация в начале эпохи Ельцина.

Они родились после падения Берлинской стены или даже не достигли еще подросткового возраста, когда распался СССР. Эти травмы их не затронули, и человек, обеспечивший себе огромную популярность, пообещав отомстить за это двойное унижение, не имеет в их глазах ничего общего с молодым и о каким мускулистым спасителем нации, каким он предстал перед их родителями. 

Для россиян в возрасте до пятидесяти лет, для России завтрашнего дня,  Владимир Путин – не более чем стареющий президент, при котором они жили всегда, просто человек, который тщится изо всех сил вернуть утраченную Империю и бесконечно ссорится с ближайшими соседями, он всего лишь воплощение времени, в течение которого уровень жизни падает, денег становится все меньше и процветает коррупция, масштабы которой уже всем хорошо известны.   

Единственные три оставшихся козыря в колоде Владимира Путина – это усиливающаяся жестокость репрессий, отсутствие организованной смены и страх перед возникающим в связи с этим вакуумом. Благодаря этому он может выживать, но реальных сторонников ему уже не привлечь, то есть не сформировать основу  для  установления долгосрочной преемственности, и эта новая ситуация требует от оппозиционеров создания в России общей политической программы, простой и ясной.

Осуждение коррупции и нарушения гражданских прав более чем необходимо, но этого уже недостаточно.

Оппозиции, равно как и вообще  всем россиянам и  народам Российской Федерации, сейчас важно  понять, что делать, и соответственно, определить цели, общие для движущих сил страны, городских средних классов, разумеется, потому что за ними будущее, но также и для силовиков, состоятельных людей и беднейших слоев населения в городской и сельской местности.

Задача сложная, но, наверняка, осуществимая.

Прежде всего, стоит подумать о необходимости установления в вашей стране социальной справедливости, которая становится в России абсолютной необходимостью для самых бедных и единственным способом, – для самых богатых, избежать революции. Станьте партией, выступающей за Welfarestate, за обеспечение коммунального хозяйства, дорог, школ и больниц, за социальное равенство и защиту.

Будьте такой партией, потому что любая страна стремится к справедливости и всеобщему благу,  потому что главенство бизнеса, денег и прибыли может быть необходимо только для исправления избытка социальной защиты, и только после установления социальной справедливости, а не до того. До того как будет обеспечена социальная справедливость, тэтчеризм приведет лишь к чудовищному обнищанию рабочих, как в 19 веке, которую осуждали Диккенс и Золя, и которая в итоге обернулась – кому как не России это знать? – кровопролитными революциями, террором и диктатурой.

Затем станьте партией мира. Станьте партией, отвергающей любое военное вмешательство, не направленное на защиту ваших жизненно важных интересов, партией, отвергающей убийственные и дорогостоящие авантюры, которые ничего вам не приносят и лишают вас стольких ресурсов – партией, которая будет постоянно спрашивать, во сколько обходится России спасение Башара Асада и ради какой такой выгоды она при помощи бомбардировок восстанавливает его насквозь коррумпированную и кровожадную диктатуру.

В-третьих, будьте партией европейской России, а не той китайской России, на которую вас обрекает политика Владимира Путина. Россия должна поддерживать прекрасные отношения с Китаем, потому что у вас с этим экономическим гигантом около 4 000 километров общей границы. Добрососедское взаимопонимание с самой густонаселенной страной мира вам необходимо, потому что у вас плохая демографическая ситуация, притом, что ни одно другое государство не имеет такой протяжённости, и никто, – ни силовики, ни олигархи, ни городской средний класс и самый бедный сельский житель – никто в вашей стране не хотел бы  попасть в вассальную зависимость от Китая, потому что это противоречило бы российской культуре, ее истории и интересам.

Поэтому станьте партией «модуса вивенди» с Европейским Союзом, и речь не идет о подчинении Западной Европе, у которой нет ни средств, ни стремления навязать вам что-либо, – надо делать ставку на экономическое сотрудничество и соглашения по безопасности между двумя столпами нашего общего дома, нашего общего континента, Европы, и нашей общей цивилизации.       

И, в-четвертых, станьте партией истинного братства между народами бывшей Российской империибратства, основанного на общей борьбе за демократические принципы, на уважении национальной независимости, на добрососедстве и невмешательстве во внутренние дела. На этом должны строиться  ваши предложения относительно связей между Россией и ее ближайшими соседями, а теперь давайте помечтаем. 

Давайте мечтать о том, что российская и белорусская оппозиции, объединив свои усилия, подпишут в ближайшем будущем совместную декларацию, утверждающую общность их целей – свободу, равенство и братство, призывая всех людей доброй воли во всем мире поддержать их общую борьбу.

Поверьте французу, эта совместная декларация будет вашим взятием Бастилии.

Бернар Гетта – журналист, специализирующийся на геополитической тематике, бывший корреспондент газеты « Монд » в Варшаве, Вашингтоне и Москве, депутат Европейского парламента (Группа «Обновляя Европу»).

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